Financement d’une franchise : prudence !

Voici un arrêt dont l’importance pratique ne passera pas inaperçue. Bien que la Cour de cassation n’ait pas jugé utile de le publier, il mérite assurément d’être connu des franchisés.

Rappel des faits

L’histoire était fort simple : afin de financer leur affiliation à un réseau de franchises, une société avait contracté un prêt auprès d’une banque. Et ses dirigeants de se porter caution. Scenario banal s’il en fut… Les contrats de franchise devaient toutefois être annulés. Restait alors la question du prêt. Devait-il ou non être annulé par voie de conséquence ? Le franchisé devait-il poursuivre le paiement des mensualités ? Non, selon lui : l’annulation du contrat de franchise justifiait nécessairement celle du contrat de prêt. Les deux contrats formaient un tout indivisible. L’argument est toutefois rejeté par la Cour de cassation dans cet arrêt du 14 décembre 2010 :

« Attendu qu’après avoir relevé que la partie qui invoque l’indissociabilité de deux contrats doit démontrer l’existence d’une indivisibilité entre les conventions, et que le fait que celles-ci participent d’une même opération économique ne suffit pas à lui seul à caractériser l’indivisibilité des contrats, l’arrêt constate dans l’exercice de son pouvoir souverain que les contrats de franchise et de prêt n’ont pas été conclus entre les mêmes parties, que les contrats de prêt ne comportent aucune référence aux contrats de franchise, de même que ces derniers ne contiennent aucune mention relative à des demandes de prêt, ni aucune condition suspensive d’obtention de prêts, que chacune des conventions comporte des obligations distinctes pouvant être exécutées indépendamment les unes des autres, enfin qu’aucun élément ne permet de constater que les parties ont voulu lier le sort des contrats de prêt à celui des contrats de franchise ; qu’en l’état de ces appréciations et constatations, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ».

La portée de l’arrêt

En somme, le contrat de prêt qui servait à l’exécution du contrat de franchise perdurera malgré la disparition de celui-ci. La solution peut étonner : quelle logique économique la sous-tend ? D’un point de vue juridique, elle se défend néanmoins : le banquier doit-il pâtir de l’annulation d’un contrat auquel il est étranger ? Par où le franchisé est invité à solliciter, dans le cadre de son action en nullité du contrat de franchise, l’indemnisation du préjudice résultant pour lui de la continuation d’un prêt qui se trouve privé pour lui de toute signification économique.

Mais l’apport de cet arrêt va plus loin. Car le franchisé et la caution reprochaient également à la banque d’avoir manqué à son devoir de mise en garde lors du financement de l’opération. C’est un reproche classique depuis que la Cour de cassation, en 2007, a mis à la charge des banquiers cette nouvelle obligation au profit des emprunteurs non avertis. L’arrêt du 14 décembre rappelle toutefois qu’il appartient au franchisé d’établir le risque d’endettement que présentait l’opération lors de sa conclusion. S’il incombe au banquier de prouver qu’il a bien exécuté son obligation, encore faut-il en effet que celle-ci existe. Lorsque l’opération ne présente pas un véritable risque, le franchisé ne peut reprocher à un autre de s’être laissé embarquer dans la Galère. Cela ne veut pas dire qu’en l’espèce, le risque n’existait pas. Mais le franchisé ne l’avait pas suffisamment caractérisé pour les juges du fond. Prudence donc : lors de la conclusion du contrat, certes, mais aussi lors de la confection de son dossier de plaidoirie.

Le franchiseur doit affecter les redevances publicitaires à la publicité

Chiffre et Droit : Le franchiseur doit affecter les redevances publicitaires à la publicité !

Note sous CA Versailles, 29 septembre 2015

 

L’obligation de transparence qui pèse sur tout franchiseur ne se borne pas à la période précontractuelle. Sans doute l’article L. 330-3 du Code de commerce, issu de la fameuse loi Doubin de 1989, cristallise-t-il une bonne part du contentieux. Sans relâche, il convient de veiller à ce que la tête d’un réseau fournisse l’ensemble des informations de nature à éclairer le consentement de celui qui s’apprête à intégrer ledit réseau. Mais cela ne suffit pas. L’article L. 330-3 n’épuise pas toutes les difficultés. Et la vigilance s’impose aussi lors tout au long de l’exécution du contrat. A preuve, cet arrêt rendu le 29 septembre dernier par la Cour d’appel de Versailles.

Le litige opposait près de deux cents franchisés du secteur de l’hôtellerie à leur franchiseur. Ce qui montre, soit dit en passant, que l’action de groupe n’a besoin d’aucun texte spécial et repose uniquement sur la cohésion et le dynamisme des membres d’un réseau. Quoiqu’il en soit, ces franchisés s’étaient réunis afin de solliciter de leur cocontractant commun, le franchiseur donc, qu’il respecte les stipulations du contrat de franchise s’agissant de la redevance publicitaire. On le sait : la plupart des contrats mettent à la charge des franchisés non seulement une redevance de franchise, mais aussi une redevance au titre des actions publicitaires et marketing dont la conception et la mise en œuvre relèvent du pouvoir du franchiseur. Au cas particulier, la clause était passablement ambiguë. La question était notamment celle de savoir si les sommes prélevées au titre de la redevance publicitaire pouvaient servir à financer les salariés du franchiseur commis aux actions publicitaires. Passons rapidement sur ce dernier point, résolu en faveur des franchisés. La clause recelait en effet une ambiguïté en ce que les frais évoqués au titre de la redevance publicitaire devaient avoir trait à la mise en place d’actions publicitaires tandis que les salaires des employés permanents du service marketing représentent des « frais relativement fixes et non liés à des « actions spécifiques », comme le rappellent fort justement les magistrats versaillais. Au demeurant, pendant plus de dix ans, le franchiseur n’avait guère assimilé les salaires litigieux à des frais ayant trait à la mise en place d’actions publicitaires. S’il s’était ensuite ravisé, un tel changement de stratégie ne pouvait évidemment que le desservir. Là n’est toutefois pas l’essentiel de cette décision.

L’essentiel tient à l’obligation qui est faite au franchiseur d’affecter les sommes perçues au titre de la publicité à des actions publicitaires. Fallait-il une décision pour rappeler cette lapalissade ? Eh bien oui. Etrangement, le franchiseur soutenait qu’il n’avait aucun compte à rendre sur les sommes perçues. Qu’il fît une marge là-dessus, c’était la loi du commerce. Tel était à peu près son langage. La Cour d’appel de Versailles y met toutefois bon ordre.

Non sans un certain aplomb, le franchiseur soutenait que les sommes collectées entraient dans son budget et perdaient juridiquement toute individualisation au sein de son chiffre d’affaires. Autant valait affirmer qu’il facturait des redevances comme il percevait une rente ! Si tel est souvent le cas en fait, cela ne saurait pourtant être avalisé en droit. C’est ainsi légitimement que la Cour d’appel impose une obligation de reporter un éventuel solde du budget marketing d’une année sur l’autre. Il faut ici reprendre in extenso le principal considérant de cet arrêt :

« Considérant que l’article 5.3 qui concerne les contributions aux actions publicitaires et promotionnelles, stipule que Le Franchisé paiera au Franchiseur une redevance annuelle égale à 1 % du chiffre d’affaires hors taxes total de l’hôtel à compter de la date d’ouverture ou de mise sous enseigne de l’Etablissement, au titre d’une participation devant être utilisée pour les frais liés aux actions de publicité de publicité, promotion des ventes et marketing de façon générale conformément aux dispositions de l’article 2.6.1 du présent Contrat ; que l’expression « devant être utilisée pour les frais liés aux actions de publicité, promotion des ventes marketing de façon générale » est claire quant à l’affectation des sommes ainsi prélevées, excluant toute utilisation des redevances à d’autres fins que ces actions ».

En clair, les sommes prélevées au titre de la publicité ne doivent pas servir à autre chose. Qui s’en étonnera ? Le franchiseur est au moins tenu d’exécuter les termes du contrat qu’il a lui-même rédigé.

La franchise est-elle encore ce qu’elle était ?

Les évolutions de la franchise et de la loi Doubin

Note sous CA Paris, Pôle 5, ch. 4, 7 octobre 2015

 

La franchise est-elle encore ce qu’elle était ? La question se pose au regard de certaines décisions de justice, incompréhensibles, qui manifestent une idéologie aussi libérale que caricaturale. En veut-on un exemple ? Cet arrêt rendu le 7 octobre 2015 par la Cour d’appel de Paris fait assurément l’affaire. Qu’on en juge.

Voici un franchisé du secteur de l’immobilier. Il souhaite s’installer dans une zone qui, quelques années auparavant, avait déjà été exploité par un précédent franchisé. Celui-ci avait périclité et le franchiseur n’en avait rien dit au nouvel impétrant. Réticence dolosive bien sûr. Eh bien non ! Voici ce qu’en pensent les magistrats parisiens : ce précédent franchisé n’avait jamais ouvert son agence, de sorte qu’une information sur la dissolution de cette société « aurait été manifestement sans incidence sur le consentement » du nouveau franchisé. Pourquoi ? Nul ne le sait : aucune réelle motivation n’est donnée. Pourquoi le franchisé n’avait-il pas ouvert ? La Cour d’appel ne s’embarrasse même pas de la question ! Le franchiseur avait respecté les exigences de l’article R. 330-1 du Code de commerce puisque ce texte ne lui impose que d’indiquer au candidat à l’intégration du réseau « le nombre d’entreprises qui, étant liées au réseau par des contrats de même nature que celui dont la conclusion est envisagée, ont cessé de faire partie du réseau au cours de l’année précédant celle de la délivrance du document ». Or le précédent franchisé, en l’espèce, avait disparu il y a plus d’un an avant la conclusion du nouveau contrat. Dans ces conditions, il n’y avait rien à reprocher à ce franchiseur. Pur formalisme ! Où l’on voit en tout cas l’effet pervers de la loi Doubin et de son décret d’application : en fixant dans une liste les éléments devant être communiqués au candidat à l’intégration d’un réseau, elle les a comme figés. Du moins est-ce là le résultat d’une jurisprudence pusillanime qui ne cherche pas à aller beaucoup plus loin que la lettre des textes.

Mais ce n’est pas tout ! Le Document d’Information Précontractuel remis au franchisé ne comportait aucun état local du marché. Et pour cause… Mais peu importe, continuent les magistrats ! Il n’était pas prouvé, selon eux, que cette lacune, qu’ils reconnaissent pourtant explicitement dans leur décision, eût été déterminante du consentement du franchisé. Dont acte : un état du marché local n’aurait ainsi aucune importance. On savait les juges peu enclins aux raisonnements d’ordre économique : la preuve en est ici donnée avec un triste éclat.

Le franchisé se plaignait encore de l’importance du décalage entre les prévisionnels à lui remis par le franchiseur et les chiffres effectivement réalisés au cours de son exploitation. Argument à nouveau balayé : non seulement les prévisionnels fournis par le franchiseur étaient ceux d’un « cabinet-type », mais en outre, « la fourniture de prévisionnels ne dispensait pas le franchisé d’établir lui-même ses comptes prévisionnels en y intégrant ses propres informations qu’en entrepreneur avisé il pouvait recueillir afin d’analyser la faisabilité et la rentabilité économique de son projet, ; qu’il pouvait notamment réunir les éléments relatifs à la rentabilité des autres franchisés en les contactant dès lors qu’il disposait de leurs coordonnées ». L’antienne est connue, rebattue à souhait : les candidats à la franchise sont des professionnels et doivent ainsi prendre leurs risques. Grave méconnaissance de la réalité psychologique cette fois. Pourquoi le franchiseur remet-il le compte prévisionnel d’un « cabinet type » si ce n’est pour convaincre son interlocuteur ? Pourquoi lui reconnaître le pouvoir de fournir des prévisionnels sans qu’aucune véritable responsabilité ne s’y attache ? Au reste, combien de fois faudra-t-il le répéter ? Tous les candidats à la franchise ne sont pas des professionnels. Dans maintes hypothèses, ils sont exactement dans la même situation qu’un consommateur. Peut-être la jurisprudence s’avisera un jour de l’opportunité de distinguer les candidats avertis des candidats profanes. Pour lors, elle se cantonne à des prises de position idéologiques sans aucune consistance sociologique. Elle s’aveugle en somme.

Enfin, last but not the least, le franchisé contestait avoir reçu le moindre savoir-faire spécifique. De fait, le franchiseur, disposant d’un savoir-faire dans le secteur des  transactions entre particuliers, avait mis en place, à la diable, un réseau fondé sur un autre créneau, celui des transactions entre professionnels, sans avoir pris la peine d’expérimenter son prétendu nouveau concept. Le contrat aurait ainsi dû logiquement être annulé pour défaut de cause. Mais non ! Là encore, la Cour d’appel fait preuve d’un laxisme difficile à comprendre. Le franchiseur pouvait, selon elle, se baser sur la réussite du concept élaboré sur un secteur économique, celui des transactions entre particuliers, afin de lancer un nouveau réseau dans un autre secteur, celui des transactions entre professionnels. Les deux marchés n’ont pourtant pas grand-chose à voir l’un avec l’autre. La solution revient à faire porter aux premiers franchisés la charge de l’expérimentation d’un savoir-faire inexistant. Drôle de franchise en vérité. Il est loin le temps où les tribunaux prenaient soin de vérifier la réalité et l’originalité d’un savoir-faire. Désormais, la moindre fausse bonne idée peut en tenir lieu. Une telle démission dénature la franchise, qui se confond de plus en plus avec une simple licence de marques améliorée, à peine plus. A force de libéralisme, la jurisprudence en vient à justifier tout et n’importe quoi. Non, décidément, la franchise n’est plus ce qu’elle était…

Le boulanger Paul sanctionné pour mauvaise foi dans la mise en œuvre de la résiliation d’un contrat avec un partenaire

Le boulanger Paul sanctionné pour mauvaise suite à la résiliation d’un contrat avec un partenaire.

La bonne foi doit présider aux relations entre franchiseur et franchisé. Par ailleurs, cette obligation s’impose à tous les stades de la relation.

Dans un arrêt du 7 janvier 2015 concernant le réseau Paul, la Cour d’Appel de Paris rappelle certaines règles élémentaires du droit des contrats. La cour insiste notamment sur le devoir de bonne foi du franchiseur. Ainsi elle souligne que le contrat de franchise repose par essence sur l’assistance et le conseil du franchiseur. Or, en s’abstenant de fournir la moindre assistance alors qu’il avait connaissance des difficultés de son franchisé, le franchiseur a agi de mauvaise foi.

 

« Considérant enfin que le contrat de franchise a pour objet la réitération de la réussite commerciale du franchiseur par le franchisé. Qu’il appartenait à la société Holder d’assister son cocontractant pour lui permettre de se sortir des difficultés qu’il a lui-même provoquées, en obtenant la réduction de ses multiples charges comme le montant excessif de son loyer commercial (18 % des charges), en obtenant la révision du contrat d’approvisionnement en produits ‘spécifiques’ qui n’en avaient pas les caractéristiques. Que la société Holder n’a rien fait et a démontré sa mauvaise foi dans l’exécution de son obligation d’assistance imposée par le contrat de franchise« 

En savoir plus …

Rupture brutale et modification des modalités de livraison

DIA condamnée à livrer l’un de ses affiliés dans le respect des termes du contrat d’approvisionnement.

Un exemple de rupture brutale : Cour d’Appel de Paris, 19 septembre 2013

Le tribunal de commerce de Paris sanctionne la modification des modalités de livraison et l’assimile à une rupture brutale.

Dans un jugement rendu à propos du réseau DIA, le tribunal de commerce de Paris estime que la modification unilatérale des modalités de livraison peut constituer une rupture brutale et  unilatérale du contrat. Le Tribunal de commerce va d’ailleurs jusqu’à qualifier cette modification de  trouble manifestement illicite.

Il ressort donc de ce jugement que les modalités de livraison peuvent constituer un élément essentiel du contrat. Ainsi leur modification ne peut résulter que d’un accord des parties. Il s’agit là d’une simple application du principe essentiel de la force obligatoire des contrats, selon lequel « les conventions tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites »

 

Propriété de la clientèle du franchisé.

Clientèle du franchisé: mythe ou réalité ?

Cour d’Appel de Paris, 29 avril 1

A qui appartient la clientèle du fonds exploité par le franchisé ?

Depuis le fameux arrêt Trévisan rendu par la Cour de cassation le 27 mars 2002, il est admis que la clientèle locale appartient au franchisé tandis que la clientèle nationale serait la propriété du franchiseur.

« Si une clientèle est au plan national attachée à la notoriété de la marque du franchiseur, la clientèle locale n’existe que par le fait des moyens mis en oeuvre par le franchisé, parmi lesquels les éléments corporels de son fonds de commerce, matériel et stock, et l’élément incorporel que constitue le bail, que cette clientèle fait elle-même partie du fonds de commerce du franchisé puisque, même si celui-ci n’est pas le propriétaire de la marque et de l’enseigne mises à sa disposition pendant l’exécution du contrat de franchise, elle est créée par son activité, avec des moyens que, contractant à titre personnel avec ses fournisseurs ou prêteurs de deniers, il met en oeuvre à ses risques et périls »

Si cette distinction est théoriquement séduisante elle en pratique délicate à mettre en oeuvre. L’arrêt rendu par le 29 avril 2014 par la Cour de cassation en est une excellente illustration. Certes, il s’agit d’un arrêt rendu suite à une ordonnance de référé. Néanmoins, il s’agit là d’une décision intéressante pour les franchisés.

Les faits soumis à la Cour le 24 avril 2014

Dans les faits soumis à la Cour, le franchiseur tentait d’imposer à son franchisé un nouveau logiciel de gestion de la clientèle. Ce logiciel lui aurait donné au franchiseur (la société GROUPE PLANET SUSHI) accès à l’ensemble du fichier client. La demande du franchiseur revenait à nier purement et simplement l’existence d’une clientèle appartenant au franchisé. En déboutant la société GPS, la Cour d’Appel réaffirme que le franchisé est propriétaire de sa clientèle.

« Considérant que ce changement de logiciel, au regard des dispositions susvisées du contrat qui autorisent la société GPS à faire des campagnes de promotion de son concept et de ses produits en direction des clients de ses franchisés et ce y compris après la résiliation du contrat et à conserver la copie du fichier clients après la cessation des relations contractuelles avec le franchisé, conduit à mettre à la disposition du franchiseur un élément essentiel du fonds de commerce du franchisé, avec le risque d’un détournement de sa clientèle au terme du contrat.
Qu’il en résulte, avec l’évidence requise en référé, une modification de l’économie du contrat caractérisant un trouble manifestement illicite et un dommage imminent, celui de la perte de la propriété de données (…).

 
Considérant qu’il convient en conséquence de rejeter les demandes incidentes formées par l’appelante. »

 En conclusion, la franchiseur ne saurait, même par des moyens détournés, s’approprier la clientèle du franchisé.

La validation des prévisionnels par le franchiseur engage sa responsabilité !

Note sous CA Paris, Pôle 5, ch. 4, 7 janvier 2015

La validation des prévisionnels par le franchiseur engage sa responsabilité  : Enfin un peu de justice !

Rappel sur la jurisprudence

De longue date, la jurisprudence considère qu’un franchiseur n’a pas à remettre de chiffres d’affaires prévisionnels aux candidats à l’intégration de son réseau. C’est à ce dernier de faire ses calculs, d’envisager ses perspectives de rentabilité. La solution ne se justifie ni sur un plan juridique, ni sur un plan économique. Juridiquement, les textes imposent au franchiseur de faire connaître au candidat les perspectives de rentabilité ainsi que l’état du marché local (C. com., art. L. 330-3 et R. 330-3). Au reste, le franchiseur est tenu de transmettre un savoir-faire.

Or la réalisation de prévisionnels participe nécessairement dudit savoir-faire. Comment diable le franchiseur peut-il prétendre en détenir un s’il n’est pas capable d’en anticiper l’application sur un secteur donné ? Économiquement, les informations nécessaires à la réalisation de prévisionnels sérieux sont beaucoup plus facilement accessibles au franchiseur. Et ce dernier a tout intérêt à jouer la transparence. Certes, il ne peut s’agir de mettre à sa charge une obligation de résultat. Mais personne ne l’a jamais demandé ! Seuls les prévisionnels irréalistes, grossièrement optimistes méritent d’être sanctionnés. Quoiqu’il en soit, les tribunaux le répètent à longueur de décision, de manière presque hypnotique : le franchiseur n’a pas à réaliser les prévisionnels.

L’arrêt de la Cour d’Appel de Paris

Voilà pourtant que la Cour d’appel de Paris, sans directement revenir sur ce leitmotiv, en atténue singulièrement et la portée, et l’incongruité. Dans une affaire passablement complexe, elle décide d’engager la responsabilité d’un franchiseur au motif que les chiffres prévisionnels qu’il avait validés s’étaient avérés mensongers. La plupart des éléments avaient, comme de juste, étaient fournis au candidat franchisé pour qu’il réalise ses prévisionnels.

Sans doute ceux-ci avaient-ils donc été élaborés par le franchisé. En considération de trois données : le chiffre d’affaires que le concept devait produire à l’endroit choisi, les marges dont bénéficie le franchisé et le montant des travaux d’aménagement pour que le magasin réponde au concept du franchiseur. Mais en les recevant sans formuler la moindre observation, le franchiseur les avait validés, affirment les magistrats parisiens. Or l’étude du contexte économique d’implantation n’avait pas été faite sérieusement par le franchiseur qui, précise la Cour, avait surévalué la force de son concept. De fait, l’écart entre les prévisions et les chiffres réalisés était substantiel : plus de 30 %. Condamnation du franchiseur donc.

La décision est salutaire. Elle est au surplus réaliste et largement transposable. Dans de très nombreux cas, le franchiseur laisse le candidat réaliser formellement des prévisionnels qu’il se borne à recevoir sans broncher. S’il n’en est pas l’auteur, sa ratification change ainsi nécessairement la donne. Car un silence vaut ici nécessairement acceptation. Imagine-t-on qu’un franchiseur laisse un des membres de son réseau se lancer s’il estime que les prévisionnels qui lui sont communiqués sont infaisables ? La solution retenue par les magistrats de la Cour d’appel de Paris a ainsi le mérite de pallier l’injustice de la règle traditionnelle. Les prévisionnels n’ont pas à être faits par le franchiseur ? Soit ! Mais qu’au moins celui-ci n’en valide pas d’excessifs !

Tôt ou tard, la raison finit toujours par l’emporter. Cette sage décision permet du moins de l’espérer !

Attention aux clauses de médiation préalable !

Attention aux clauses de médiation préalable : à propos de Cass. ch. mixte, 12 décembre 2014, Pourvoi n° 13-19.684.

La justice négociée a le vent en poupe.

La justice négociée (clauses de médiation, de conciliation etc.) est censée assurer une justice apaisée et contribuer à désengorger les tribunaux. Les contrats de distribution stipulent ainsi de plus en plus souvent une clause instituant une procédure, obligatoire et préalable à la saisine du juge, favorisant une solution amiable du litige. Clause de médiation, clause de conciliation, clause de recours à un expert : quelles que soient les modalités, il s’agit toujours d’imposer aux parties de négocier avant de ferrailler. Les bons sentiments ne font toutefois pas toujours les bonnes clauses…

De fait, s’il est évident que l’une des parties n’entend pas négocier, à quoi bon le lui imposer ? Les parties se rapprocheront de manière purement formelle. Il n’y aura qu’un simulacre de négociation. La Cour de cassation n’en impose pas moins le respect scrupuleux de ce genre de clauses. De manière parfois aussi excessive qu’irréaliste. Rendu le 12 décembre dernier, cet arrêt en témoigne.

En l’espèce, une partie avait violé la clause de conciliation. Elle avait saisi le juge judiciaire d’une action en responsabilité sans avoir préalablement mis en œuvre la clause stipulée au contrat. Sans doute l’avait-elle mise en œuvre. Mais après l’introduction de l’instance. Trop tard donc ! La Cour d’appel de Montpellier avait ainsi déclaré son action irrecevable. Et la Cour de cassation confirme cet arrêt, décidant de manière très générale que la fin de non-recevoir tirée de la méconnaissance de ce type de clauses n’est pas susceptible d’être régularisée par leur application en cours d’instance.

Critique de l’arrêt rendu par la Cour de Cassation

La solution est très contestable. Certes, la clause était obligatoire. Ne portant qu’une atteinte temporaire au droit fondamental d’ester en justice, celle-ci est en effet parfaitement licite (Cass. ch. mixte, 14 fév. 2003, n° 00-19.423 et n° 00-19.424 : Bull. ch. mixte, n° 1). Il n’est pas moins acquis depuis 2003 que la sanction de la violation d’une telle clause réside dans une fin de non-recevoir (Cass. ch. mixte, 14 fév. 2003, préc.).

Or l’article 126, al. 1er, du Code de procédure civile prévoit bien la possibilité d’une régularisation dans les termes suivants : « dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d’être régularisée, l’irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue ». Et quel est l’esprit d’une clause de médiation ? Il s’agit simplement de prévoir une tentative de règlement amiable avant qu’un juge statue sur leur litige. Peu importe que cette clause soit mise en œuvre avant ou après l’introduction de l’instance. Il reste en effet possible de revenir à une situation conforme à la règle tant que le juge n’a pas statué.

D’aucuns objecteront que le climat délétère qu’implique l’introduction d’une instance compromet les chances d’une solution amiable. Les parties savent toutefois fort bien qu’à défaut de s’entendre, le juge aura toujours le dernier mot, quelle que soit la date de sa saisine. Au demeurant, il n’est pas certain que l’introduction d’une instance compromette une négociation. Elle peut tout au contraire la favoriser. En pratique, les parties peuvent être d’autant plus enclines à transiger que la menace d’une décision judiciaire se profile de manière imminente.

Le contexte

Dans ces conditions, on comprend bien mieux la solution qu’avait adoptée la deuxième chambre civile et la chambre commerciale de la Cour de cassation dans deux arrêts rendus respectivement les 16 décembre 2010 et 3 mai 2011. Où la Haute juridiction décidait que le défaut de mise en œuvre d’une clause d’un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge constitue une fin de non-recevoir qui peut être régularisée en cours d’instance (Cass. civ. 2, 16 déc. 2010, n° 09-71.775 : Bull. civ. II, n° 212 ; JCP 2011, n° 22, p. 666, n° 12, obs. T. Clay ; RTD Civ. 2011, p. 170, note R. Perrot ; Dr. des contrats, L’essentiel, 1er fév. 2011, n° 2, p. 6, obs. G. Guerlin ; RDC 2011, p. 916, obs. C. Pelletier.- Cass. com., 3 mai 2011, n° 10-12.187 : RDC 2012, p. 884, obs. C. Pelletier).

De ce point de vue, l’arrêt du 12 décembre est un changement de cap jurisprudentiel que rien ne justifie. Quelles sont en effet les conséquences de la solution qui en résulte ? La partie dont l’action est déclarée irrecevable souhaitera naturellement introduire une nouvelle action. Devra-t-elle pour autant, au nom de la clause, tenter une nouvelle négociation ? La tentative serait aussi vaine que dilatoire. C’est d’ailleurs le paradoxe auquel aboutit l’arrêt commenté : à vouloir assurer l’efficacité des clauses de médiation censées court-circuiter le recours au juge, la solution tend à encombrer ce dernier.

Cet arrêt s’inscrit dans une tendance plus générale consistant à favoriser les modes alternatifs de règlement des litiges. Sur ce point vous pouvez consulter nos articles sur :

 

Clause de non-concurrence annulée

La clause de non-concurrence doit être proportionnée aux intérêts légitimes du franchiseur.

Dans l’arrêt de la Cour d’Appel de Versailles du 24 juin 2014, les juges rappellent les conditions de validité des clauses de non-concurrence.

Les faits soumis à la Cour d’Appel de Versailles

Dans l’affaire soumise à la Cour, un ancien franchisé UCAR avait poursuivi son activité après l’expiration du contrat. Or le contrat prévoyait que le franchisé ne pourrait pas exercer d’activité concurrente pendant une durée d’un an après l’expiration du contrat. Cette clause s’appliquait non seulement au local exploité par le franchisé, mais aussi sur tout le département et les département limitrophes.

La décision de la Cour d’Appel de Versailles

La Cour d’Appel de Versailles a estimé qu’une telle clause de non-concurrence était excessive au regard de la zone géographique concernée.

« Elle couvre une zone géographique particulièrement étendue (…). Que cette restriction à la liberté de commerce (…) n’est pas proportionnée aux intérêts légitimes de la société UCAR. (…) Qu’il résulte de l’ensemble de ces éléments que la clause de non-concurrence est nulle et de nul effet ». 

Il est en outre intéressant de souligner que la clause de non-concurrence n’est pas ramenée à de plus justes proportions. Elle est simplement annulée. Il s’agit à présent d’une jurisprudence bien établie. En effet, la clause de non-concurrence excessive est systématiquement annulée et ne produit aucun effet. (sur ce point, voir notre article ci-contre). Le rédacteur du contrat doit donc être particulièrement vigilant. Si la clause a une portée trop large, elle sera annulée. De même, s’il n’est pas démontrée qu’elle est proportionnelle à la protection des intérêts du franchiseur.

Les conditions de validité des clauses restreignant la liberté d’entreprendre du franchisé après l’expiration du contrat sont définies depuis la loi Macron à l’article L 341-2 du Code de Commerce (sur les impacts de la loi Macron sur les réseaux de franchise, voir notre article ci-contre).

L’évaluation du préjudice lié à la rupture brutale d’une relation commerciale établie

L’évaluation du préjudice lié à la rupture brutale d’une relation commerciale établie.

A propos de Cass. Com., 24 juin 2014, n° 12-27908

Rappel sur le contentieux lié à la rupture brutale d’une relation commerciale

Le caractère brutal de la rupture

La rupture d’un contrat de distribution est la source d’un abondant contentieux.

La partie qui en est victime peut notamment en contester le caractère brutal. L’article L.442-6, I, 5°, du Code de commerce dispose en effet qu’ « engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels », des « arrêtés ministériels », ou à défaut, par le juge.

A supposer que la brutalité de la rupture soit démontrée, encore faut-il néanmoins évaluer le montant de la réparation à laquelle le partenaire évincé peut légitimement prétendre. L’auteur de la rupture engage sa responsabilité : soit ! Mais dans quelle mesure ? Telle est la question. Et c’est tout l’intérêt de l’arrêt rendu le 24 juin 2014 par la chambre commerciale de la Cour de cassation que de préciser la réponse.

L’épineuse question de l’indemnisation du préjudice

De fait, il régnait jusqu’alors un certain flottement jurisprudentiel. Et pour cause : les textes s’avèrent pour le moins évasifs. Tout au plus l’article 1149 du Code civil dispose-t-il que « les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé ».

Les pertes liées à la brutalité d’une rupture ne sont déjà pas faciles à déterminer. Certains postes de préjudice ne sont toutefois pas contestables. Ainsi par exemple de l’impossibilité de redéployer certains investissements spécifiques réalisés par la victime de la brusque rupture. Ou encore, le cas échéant, de la perte d’image liée à une atteinte à la réputation.

 Mais les gains manqués ? Comment les apprécier ? Un débat agite la doctrine et les juges du fond. Sans doute est-il admis que le manque à gagner se calcule sur la période du préavis raisonnable dont la victime a été frustrée. De même est-il évident qu’il ne peut guère correspondre à du chiffre d’affaires : il faut nécessairement tenir compte des charges pesant sur l’entreprise (Cass. Com., 3 déc. 2002 : n° 00-16.818). Dit autrement, ce type de préjudice s’analyse en une perte de marge (V. par ex. Cass. Com., 9 mai 2007, n° 06-11.029). Mais au-delà de ces certitudes, les hésitations allaient bon train.

Car la notion de marge est nébuleuse. Au moins deux acceptions peuvent en être retenues : la marge brute, ou marge commerciale, désigne la différence entre le prix de vente du produit et son coût d’achat ; la marge nette, elle, renvoie au prix de la prestation diminué du coût de revient du produit ou du service commercialisé. Celle-ci intègre donc le coût de fonctionnement de l’entreprise, lequel comprend des coûts fixes et des coûts variables.

Les apport de l’arrêt du 24 juin 2014

La décision rendue le 24 juin dernier par la Cour de cassation semble nettement trancher le débat. Elle casse en effet un arrêt d’appel aux motifs que « seul doit être indemnisé le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture, évalué en considération de la marge brute escomptée durant la période de préavis qui n’a pas été exécutée ».

Il est vrai que la méthode de calcul n’est ici qu’évoquée dans une incise. Et que cette décision n’est pas publiée au Bulletin annuel des arrêts de la Cour de cassation. Il n’empêche : cet attendu est formulé dans des termes suffisamment généraux et abstraits pour cristalliser une règle à laquelle la haute juridiction entend se tenir.

Concrètement, la partie qui subit la rupture brutale d’une relation commerciale établie sera bien avisée de solliciter son expert-comptable. De dernier pourra notamment établir cette marge brute et d’emporter la conviction du juge. De nombreuses juridictions du fond s’appuient en effet sur ce type de preuve, dont l’avantage réside dans la simplicité et le sérieux (V. par ex. CA Paris, Pôle 5, ch. 10, 15 sept. 2010 : Jurisdata n° 2010-027116).