La franchise est-elle encore ce qu’elle était ?

Les évolutions de la franchise et de la loi Doubin

Note sous CA Paris, Pôle 5, ch. 4, 7 octobre 2015

 

La franchise est-elle encore ce qu’elle était ? La question se pose au regard de certaines décisions de justice, incompréhensibles, qui manifestent une idéologie aussi libérale que caricaturale. En veut-on un exemple ? Cet arrêt rendu le 7 octobre 2015 par la Cour d’appel de Paris fait assurément l’affaire. Qu’on en juge.

Voici un franchisé du secteur de l’immobilier. Il souhaite s’installer dans une zone qui, quelques années auparavant, avait déjà été exploité par un précédent franchisé. Celui-ci avait périclité et le franchiseur n’en avait rien dit au nouvel impétrant. Réticence dolosive bien sûr. Eh bien non ! Voici ce qu’en pensent les magistrats parisiens : ce précédent franchisé n’avait jamais ouvert son agence, de sorte qu’une information sur la dissolution de cette société « aurait été manifestement sans incidence sur le consentement » du nouveau franchisé. Pourquoi ? Nul ne le sait : aucune réelle motivation n’est donnée. Pourquoi le franchisé n’avait-il pas ouvert ? La Cour d’appel ne s’embarrasse même pas de la question ! Le franchiseur avait respecté les exigences de l’article R. 330-1 du Code de commerce puisque ce texte ne lui impose que d’indiquer au candidat à l’intégration du réseau « le nombre d’entreprises qui, étant liées au réseau par des contrats de même nature que celui dont la conclusion est envisagée, ont cessé de faire partie du réseau au cours de l’année précédant celle de la délivrance du document ». Or le précédent franchisé, en l’espèce, avait disparu il y a plus d’un an avant la conclusion du nouveau contrat. Dans ces conditions, il n’y avait rien à reprocher à ce franchiseur. Pur formalisme ! Où l’on voit en tout cas l’effet pervers de la loi Doubin et de son décret d’application : en fixant dans une liste les éléments devant être communiqués au candidat à l’intégration d’un réseau, elle les a comme figés. Du moins est-ce là le résultat d’une jurisprudence pusillanime qui ne cherche pas à aller beaucoup plus loin que la lettre des textes.

Mais ce n’est pas tout ! Le Document d’Information Précontractuel remis au franchisé ne comportait aucun état local du marché. Et pour cause… Mais peu importe, continuent les magistrats ! Il n’était pas prouvé, selon eux, que cette lacune, qu’ils reconnaissent pourtant explicitement dans leur décision, eût été déterminante du consentement du franchisé. Dont acte : un état du marché local n’aurait ainsi aucune importance. On savait les juges peu enclins aux raisonnements d’ordre économique : la preuve en est ici donnée avec un triste éclat.

Le franchisé se plaignait encore de l’importance du décalage entre les prévisionnels à lui remis par le franchiseur et les chiffres effectivement réalisés au cours de son exploitation. Argument à nouveau balayé : non seulement les prévisionnels fournis par le franchiseur étaient ceux d’un « cabinet-type », mais en outre, « la fourniture de prévisionnels ne dispensait pas le franchisé d’établir lui-même ses comptes prévisionnels en y intégrant ses propres informations qu’en entrepreneur avisé il pouvait recueillir afin d’analyser la faisabilité et la rentabilité économique de son projet, ; qu’il pouvait notamment réunir les éléments relatifs à la rentabilité des autres franchisés en les contactant dès lors qu’il disposait de leurs coordonnées ». L’antienne est connue, rebattue à souhait : les candidats à la franchise sont des professionnels et doivent ainsi prendre leurs risques. Grave méconnaissance de la réalité psychologique cette fois. Pourquoi le franchiseur remet-il le compte prévisionnel d’un « cabinet type » si ce n’est pour convaincre son interlocuteur ? Pourquoi lui reconnaître le pouvoir de fournir des prévisionnels sans qu’aucune véritable responsabilité ne s’y attache ? Au reste, combien de fois faudra-t-il le répéter ? Tous les candidats à la franchise ne sont pas des professionnels. Dans maintes hypothèses, ils sont exactement dans la même situation qu’un consommateur. Peut-être la jurisprudence s’avisera un jour de l’opportunité de distinguer les candidats avertis des candidats profanes. Pour lors, elle se cantonne à des prises de position idéologiques sans aucune consistance sociologique. Elle s’aveugle en somme.

Enfin, last but not the least, le franchisé contestait avoir reçu le moindre savoir-faire spécifique. De fait, le franchiseur, disposant d’un savoir-faire dans le secteur des  transactions entre particuliers, avait mis en place, à la diable, un réseau fondé sur un autre créneau, celui des transactions entre professionnels, sans avoir pris la peine d’expérimenter son prétendu nouveau concept. Le contrat aurait ainsi dû logiquement être annulé pour défaut de cause. Mais non ! Là encore, la Cour d’appel fait preuve d’un laxisme difficile à comprendre. Le franchiseur pouvait, selon elle, se baser sur la réussite du concept élaboré sur un secteur économique, celui des transactions entre particuliers, afin de lancer un nouveau réseau dans un autre secteur, celui des transactions entre professionnels. Les deux marchés n’ont pourtant pas grand-chose à voir l’un avec l’autre. La solution revient à faire porter aux premiers franchisés la charge de l’expérimentation d’un savoir-faire inexistant. Drôle de franchise en vérité. Il est loin le temps où les tribunaux prenaient soin de vérifier la réalité et l’originalité d’un savoir-faire. Désormais, la moindre fausse bonne idée peut en tenir lieu. Une telle démission dénature la franchise, qui se confond de plus en plus avec une simple licence de marques améliorée, à peine plus. A force de libéralisme, la jurisprudence en vient à justifier tout et n’importe quoi. Non, décidément, la franchise n’est plus ce qu’elle était…