La propriété du fichier clients au franchisé !

Depuis le fameux arrêt Trévisan du 27 mars 2002, la jurisprudence estime que le franchisé est propriétaire de sa clientèle locale. La distinction entre la clientèle locale (attachée à un commerçant) et la clientèle nationale (attachée avant tout à une marque) n’est pas aisée Pourtant, cette règle est restée inchangée depuis plus de vingt ans (voir sur ce sujet notre commentaire d’un arrêt du 29 avril 2014).

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Un arrêt alarmant sur les pouvoirs des juges

L’arrêt en date du 14 novembre 2018 rendu par la Cour de cassation en matière de franchise soulève de nombreux points de droit. Nous en retiendrons deux : l’existence d’une « clause de non-concurrence tacite » d’abord ; l’interdiction faite au juge de réduire d’office le montant de la clause pénale ensuite. Sur ces deux questions, la position de la chambre commerciale est tout aussi surprenante qu’inquiétante.

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Sur qui pèse la charge de la preuve ?

Dans un arrêt du 29 mars 2017 la Cour de Cassation rappelle qu’il revient au franchiseur de rapporter la preuve qu’il a bien rempli ses obligations contractuelles. La Cour d’Appel avait au contraire considéré qu’il « appartient en tout état de cause aux appelants de démontrer l’existence de fautes constitutives d’un préjudice ». Ce faisant, la Cour d’Appel avait inversé la charge de la preuve. Deux séries d’obligations contractuelles étaient en cause dans cette affaire :

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La loi El Khomri sous le feu des franchiseurs

Quelles seront les conséquences pour les réseaux de franchise de la loi El Khomri ?

L’article 29 bis A de la loi travail agite depuis quelques jours le monde de la franchise. Adopté par l’Assemblée via la procédure dérogatoire prévue à l’article 49 alinéa 3 du la Constitution, cet article très controversé prévoit la mise en place d’une instance de dialogue dans les réseaux de franchise atteignant plus de 50 salariés.

Le propre de la franchise étant l’indépendance de chaque unité, cette innovation inspirée du droit du travail paraît de prime abord surprenante. L’article 29 bis A remet en cause le principe fondateur de la franchise qu’est l’indépendance : le réseau est appréhendé comme une entité économique unique, à la tête de laquelle se trouve le franchiseur. Ce dernier aura en charge la mise en place d’une instance de dialogue composée d’un représentant du franchiseur, d’un représentant des franchisés et d’un nombre de représentants des salariés variant en fonction de la taille et de l’effectif total du réseau.

Du point de vue des franchiseurs :

La souplesse caractéristique de la franchise est battue en brèche. Certains vont même jusqu’à s’offusque de cette position de « co-employeur » qui ne serait que la première étape vers une responsabilité plus générale du franchiseur en cas de déconfiture des franchisés. A mon sens, un tel risque n’est pas avéré : le droit du travail est dérogatoire et a pour but de protéger les salariés. D’un point de vue juridique un glissement vers une responsabilité générale du franchiseur est peu probable dans la mesure où les règles du droit du travail sont très spécifiques et où les juges judiciaires continueront à appliquer sans sourciller le droit classique des contrats et de la responsabilité.

Du point de vue des franchisés :

L’instauration d’une instance de dialogue peut être bénéfique en permettant de centraliser les informations et en facilitant les échanges au sein du réseau. Il est fréquent que plusieurs franchisés soient confrontés aux mêmes difficultés donc un tel mécanisme centralisé pourrait réduire les coûts et créer des synergies au sein du réseau. Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue que le franchisé est souvent un petit commerçant qui doit gérer au quotidien son point de vente et n’aura vraisemblablement ni le temps ni la surface financière pour se préoccuper d’une telle instance. En toute hypothèse, des précisions doivent être apportées sur le rôle, le financement et les pouvoirs de « l’instance de dialogue ». En l’état, la loi est lacunaire sur ces questions essentielles.

Du point de vue des salariés:

L’article 29 bis A est de toute évidence extrêmement protecteur. Cette disposition met notamment en place une obligation de reclassement, pesant à la fois sur le franchiseur et le franchisé, en cas de licenciement économique. Économiquement, dans un contexte de chômage élevé, il est pertinent de tenter de reclasser rapidement un salarié dans une entreprise au sein de laquelle il pourra être directement opérationnel. Or le propre de la franchise réside précisément dans la réitération d’un concept, d’un savoir-faire et par conséquent des méthodes de travail. A cet égard, l’obligation de reclassement au sein d’un réseau de franchise est une idée, certes subversive, mais potentiellement pertinente.

L’article 29 bis A tend donc à transposer au sein des réseaux de franchise un dispositif propre au droit du travail dans la perspective clairement affirmée de protéger les salariés. Certains arguments plaident en faveur d’une obligation de reclassement, notamment le fait que toutes les unités exploitent un même savoir-faire. Tout dépendra de la façon dont cette obligation sera mise en œuvre.

Le franchiseur est-il responsable du fait de son franchisé ?

Le principe : franchisé est franchiseur sont des commerçants juridiquement indépendants.

La franchise relie deux commerçants, franchiseur et franchisé, juridiquement indépendants.

De sorte que chacun est censé répondre de ses fautes, point. Au reste, la plupart des contrats stipulent expressément qu’en aucun cas les tiers ne pourront rechercher la responsabilité du franchisé du fait de ses errements. C’est toutefois un peu court.

D’abord, il est évident qu’en sa qualité de tête de réseau, un franchiseur est tenu d’en assurer la discipline. Que l’un des franchisés vienne à défaillir, l’image de tout le réseau en est affectée. Le franchiseur qui n’y mettrait pas bon ordre engagerait ainsi nécessairement sa responsabilité envers les autres franchisés.

Ensuite, même les tiers peuvent être tentés de rechercher la responsabilité du franchiseur.

Tel sera le cas, par exemple, si la franchise distribue des produits qui s’avèrent défectueux. Les articles 1386-1 et suivants du code civil ne peuvent être contournés par le franchiseur qui, s’il distribuait les dits produits aux franchisés pour que ceux-ci les revendent, peut naturellement être inquiété.

La responsabilité des commettants du fait de leurs préposés dans l’avant-projet de réforme du droit de la responsabilité civile

Mais l’avant-projet de réforme de la responsabilité civile ouvre de plus larges perspectives encore. Il reformule en effet le texte applicable à la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés dans des conditions telles que son champ d’application en ressort considérablement élargi. A l’heure actuelle, la notion de commettant est principalement associée à celle de patron, d’employeur. Avec cette idée simple que l’employeur répond des fautes de ses salariés dès lors que celles-ci ne participent pas d’un abus de fonction. Demain, si l’avant-projet de loi passe en l’état, cette notion sera cependant bien plus général. Qu’il suffise de lire l’article 1249 du code civil dans sa version envisagée :

« Le commettant est responsable de plein droit des dommages causés par son préposé. Est commettant celui qui a le pouvoir de donner des ordres ou des instructions en relation avec l’accomplissement des fonctions du préposé.

En cas de transfert du lien de préposition, cette responsabilité pèse sur le bénéficiaire du transfert ».

En voilà une définition ! Manifestement, elle correspond à la relation qu’entretiennent franchiseur et franchisés. Celui-là ne donne t-il pas à ceux-ci des « instructions en relation avec l’accomplissement » de leur fonction ?

Une responsabilité fondée sur un lien de dépendance économique

L’idée, au demeurant, n’est pas totalement nouvelle. Dès 2005, l’avant-projet de réforme du droit des obligations rédigé sous les auspices de Pierre Catala s’attaquait à cette question. L’avant projet proposait de consacrer expressément la responsabilité des franchiseurs du fait des franchisés. Cette responsabilité était justifiée par le lien de dépendance économique qui les relie. C’était l’article 1360 de ce corpus, dont le texte demeure fort intéressant :

« En l’absence de lien de préposition, celui qui encadre ou organise l’activité professionnelle d’une autre personne et en tire un avantage économique est responsable des dommages causés par celle-ci dans l’exercice de cette activité (…). De même, est responsable celui qui contrôle l’activité économique ou patrimoniale d’un professionnel en situation de dépendance, bien qu’agissant pour son propre compte, lorsque la victime établit que le fait dommageable est en relation avec l’exercice du contrôle. Il en est ainsi notamment des sociétés mères pour les dommages causés par leurs filiales ou des concédants pour les dommages causés par leurs concessionnaires ».

Peut-être quelque fédération, association ou autre groupe de pression arrachera t-elle au gouvernement un nouveau texte qui atténue le risque que représente cet article 1249…

Il n’en contient pas moins une idée très juste : dès lors qu’un franchiseur contrôle étroitement les conditions d’exercice de l’activité de ses franchisés, il encourt une certaine responsabilité. Là où est le pouvoir, se trouve la responsabilité : l’adage est connu.

La responsabilité du franchiseur du fait de son franchisé

En toute hypothèse, la responsabilité du franchiseur du « fait » de ses franchisés ne se conçoit pas seulement pour faute. Imaginez un franchisé, exploitant son activité sous forme sociétaire, dont les affaires tournent mal. Sa chute précipite nécessairement la ruine de son dirigeant personne physique. Elle cause aussi des difficultés aux cocontractants de ce franchisé. Toutes ces victimes par ricochet ne peuvent-elles rechercher la responsabilité du franchiseur ? Imaginons par exemple que cet échec soit dû à un mauvais concept, de mauvais conseils, une mauvaise assistance ? Cela paraît normal. Dans toutes ces hypothèses, l’échec, « le fait » du franchisé n’est que la conséquence, voire la manifestation de la « faute » personnelle du franchiseur.

Certes, les franchiseurs aiment à jouer sur le registre de la responsabilité en rappelant que la franchise n’est pas l’assistanat. Soit. Mais qu’ils prennent également leur responsabilité et assument jusqu’au bout la logique de ce discours. Les franchisés ne doivent pas être des assistés, c’est entendu. Mais pas plus que les franchiseurs ne doivent être des rentiers.

 

L’expérience du franchisé ne dispense pas le franchiseur de son obligation d’information.

A propos de Cass. Com., 5 janvier 2016 : n° 14-15.708 et n° 14-15.706

La franchise attire toutes sortes de profils.

Certains candidats n’ont pas la moindre expérience.

Qu’ils soient jeunes ou qu’ils fussent salariés, peu importe : ceux-là justifient une protection particulière. Le franchiseur doit respecter scrupuleusement son obligation d’information, notamment concernant les tenants et aboutissants de l’intégration dans le réseau. Mais certains candidats peuvent être rompus aux affaires. Faut-il alors alléger l’obligation de transparence que la loi met à la charge du franchiseur ? Certains juges sont parfois tentés d’en décider ainsi. Une justice à deux vitesses en somme. La loi, toutefois, ne distingue pas selon la qualité de celui qui envisage d’intégrer tel ou tel réseau. Dans tous les cas, le franchiseur doit fournir un document dont les mentions sont précisément définis aux articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce. C’est ce que rappelle grosso modo la Cour de cassation dans deux arrêts du 5 janvier dernier.

Les faits soumis à la Cour dans les arrêts du 5 janvier 2016

Au cas particulier, un professionnel de l’assurance avait décidé d’intégrer un nouveau réseau de franchise. Ancien agent commercial, ancien courtier, il était aguerri. Etait-ce pour cette raison que le franchiseur n’avait pas jugé bon de lui fournir un document d’information précontractuelle complet ? Difficile de savoir… Mais le fait était constant : ce document, lacunaire, était peu détaillé et reposait sur des données anciennes qui ne donnaient pas les perspectives de développement de l’activité entreprise. Peu importe, décidaient les magistrats de la cour d’appel de Paris : dès lors que le candidat était un véritable professionnel, il n’avait pas besoin d’une telle information. La décision confirme, soit dit au passage, l’extrême libéralisme, d’aucuns pourraient même évoquer un réel laxisme, de cette juridiction, désormais ouvertement acquise à la cause des franchiseurs, aussi malhonnêtes ou négligents soient-ils. Fort heureusement, la décision est néanmoins censurée :

 

« En se déterminant ainsi, sans préciser en quoi l’expérience du franchisé, acquise dans le seul secteur de l’assurance, était suffisante pour lui permettre d’apprécier l’état du marché local d’un concept novateur alliant crédit et assurance, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ».

 Analyse de la position de la Cour de cassation

Cette cassation est bienvenue. Encore une fois, la loi ne distingue nullement selon que le candidat à la franchise était ou non averti : l’obligation de transparence du franchiseur doit être respectée en toute hypothèse. Cela étant, on regrettera la motivation très circonstanciée de l’arrêt rendu par la haute juridiction. Celle-ci semble en effet suggérer que l’expérience du franchisé, si elle avait porté non seulement sur le domaine de l’assurance, mais encore sur celui du crédit, aurait permis d’établir la connaissance suffisante de ce franchisé et partant, de dispenser le franchiseur de son obligation de transparence. Un tel raisonnement n’est pourtant pas admissible.

La portée de ces arrêts

Il faut se garder des généralisations hâtives : le fait qu’une personne ait acquis une expérience professionnelle dans tel ou tel secteur ne signifie pas qu’il n’ait pas besoin de l’information précontractuelle prévue par la loi ! Il peut d’abord ne pas connaître le secteur géographique. Auquel cas la remise d’un état du marché local s’avère tout aussi déterminante que si ce candidat n’y connaissait rien. Par hypothèse, ce dernier ignore ensuite les potentialités du concept dont s’enorgueillit le franchiseur. Les perspectives de rentabilité doivent ainsi logiquement être étudiées avec soin par le franchiseur, et communiquées à tous les impétrants.

On savait déjà que la loi Doubin de 1989, dont l’article L. 330-3 du Code de commerce est la transposition, faisait l’objet d’une interprétation stricte de la part des tribunaux. La formule des franchiseurs est rabâchée jusqu’à satiété : « toute la loi Doubin, mais rien que la loi Doubin ». Une formule qui justifie, selon certains, que le franchiseur ne soit pas tenu de remettre aux candidats des chiffres prévisionnels.

Mais il ne faudrait pas aller plus loin ! Il ne faudrait pas que cette approche restrictive s’abîme dans une lecture appauvrissante ! A lire certaines décisions, on a parfois l’impression d’un autre mot d’ordre : « rien que la loi Doubin, et moins que la loi Doubin » ! La Cour de cassation doit veiller à ce que la loi s’applique en tous ses termes : c’est sa fonction.