Sus aux clauses d’arbitrage !
Sur le danger des clauses d’arbitrage…
La clause d’arbitrage est celle par laquelle les parties à un contrat décident de confier le règlement de leurs éventuels futurs différends à un tribunal composé de juges privés, désignés par les parties. Elle peut renvoyer au règlement de quelque association ou de quelque chambre de commerce et d’industrie : l’arbitrage est « institutionnel ». Le plus souvent, les parties prévoient cependant elles-mêmes la mise en place et le fonctionnement de cette juridiction spéciale : nomination et pouvoirs des arbitres, procédure à suivre, délais à respecter, possibilité ou non d’un appel. L’arbitrage, alors « ad hoc », est comme à la carte.
En toute hypothèse, les parties se mettent ainsi d’accord pour soustraire leur litige à la compétence des juges étatiques. Cela peut être pour de multiples raisons : gain de temps, compétence des juges, confidentialité. Voilà pour les motifs officiels. Officieusement, il peut toutefois également s’agir pour la partie forte d’imposer une justice qui, en dépit de ses avantages affichés, présente un inconvénient de taille : son prix. Tout dépend, bien sûr, des modalités retenues dans le contrat. Mais il en coûtera au bas mot plusieurs milliers d’euros. Ajoutés aux frais d’avocat, le prix s’avèrera fréquemment dissuasif. De sorte que le franchisé ou le concessionnaire ayant quelque grief à faire valoir y réfléchira à deux fois et, souvent, ne pourra tout bonnement se payer le luxe d’une procédure. Le franchiseur ou le concédant se trouvera ainsi immunisé.
Le laxisme de la jurisprudence
On aurait pu espérer que les tribunaux s’emploient à endiguer ce risque d’abus. Hélas, ils sont généralement trop heureux de se décharger, à bon compte si l’on peut dire. Aussi manifestent-ils une complaisance assez lâche à l’égard de ces clauses. Le code de procédure civile leur donne pourtant des outils. Supposez que le franchisé ou le concessionnaire saisisse le tribunal de commerce en dépit de la clause. Le défendeur, franchiseur ou concédant, soulèvera logiquement une exception d’incompétence au profit du tribunal arbitral. En théorie, le tribunal peut néanmoins balayer cette argutie au motif que la clause est manifestement soit nulle, soit inapplicable. En pratique, il ne le fait que très rarement. Pourquoi ? Les raisons sont avant tout politiques.
Par faveur pour l’arbitrage, la jurisprudence se fait une conception excessivement étroite des clauses manifestement nulles ou inapplicables. La cause de nullité ou d’inapplicabilité doit sauter aux yeux, estiment-ils ! Ainsi lorsque la clause n’a pas été signée par les parties. Ou lorsqu’elle limitait son champ d’application à tel ou tel contentieux dont il n’est pas question au cas particulier.
Les dénis de justice qui en découlent
Cette jurisprudence est proprement choquante. Elle frise le déni de justice (voir notre article ci-contre). Dans certains cas, il est en effet manifeste que la clause d’arbitrage est l’instrument d’une injustice criante. De manière générale, elle représente déjà une atteinte au droit fondamental d’ester en justice. Et pour cause : ce droit, garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, n’est-il pas singulièrement écorné dès lors que l’accès à un juge s’avère payant ? Les tribunaux devraient ainsi contrôler la proportionnalité de cette atteinte par rapport aux avantages attendus de la clause. Or ceux-ci sont bien souvent purement incantatoires.
L’arbitrage est rapide ? Pas du tout ! Le Code de procédure civile connaît certaines règles permettant à un juge étatique de statuer de manière tout aussi efficace. L’arbitrage est secret ? Et alors ? Un franchiseur honnête n’a rien à cacher ! Vainement invoquerait-il la nécessité de protéger la spécificité de son savoir-faire ! Outre qu’une telle spécificité est aujourd’hui fréquemment discutable, elle n’est jamais étalée dans des décisions rendues par des juges étatiques ! Enfin, rien à dire sur la prétendue compétence des juges arbitraux. Certains le sont davantage que des juges étatiques, d’autres moins. En fait d’intelligence, il n’y a lieu de poser aucune présomption.
Au demeurant, plusieurs arguments devraient être de nature à écarter les clauses d’arbitrage ayant sinon pour objet, du moins pour effet d’empêcher une personne d’agir en justice. Deux exemples l’illustreront sans peine.
Premier exemple :
Imaginez celui qui s’est engagé dans les liens d’un contrat de franchise et qui, pour une raison indépendante de sa volonté, ne trouve pas de financement. Ou pas de local. Il a versé un droit d’entrée, parfois substantiel, alors que, concrètement, il n’entrera jamais dans le réseau. La somme versée n’a donc aucune contrepartie. Il doit pouvoir la récupérer. Dira-t-on à cette personne qu’il ne peut s’adresser aux tribunaux étatiques si le contrat stipule une clause d’arbitrage ? En clair, contraindra-t-on cette personne à débourser 10, 20 ou 30 000 euros de frais d’arbitrage afin de récupérer 10, 20 ou 30 000 euros de droit d’entrée indument conservés ?
Cela passe l’entendement ! La clause d’arbitrage, dispose l’article 2061 du Code civil, est valable entre professionnels. Et le franchiseur tiendra donc à peu près ce langage : en signant votre contrat de franchise, vous avez réalisé le premier acte d’entrée dans une vie « professionnelle ». Vous ne pouvez donc prétendre que la clause est inapplicable. Byzantinisme ! Argutie ! Un peu plus de réalisme s’impose : dès lors qu’il n’y a pas eu entrée dans le réseau, le franchisé ressemble davantage à un consommateur floué. Il n’a précisément pas pu s’adonner à l’activité professionnelle convoitée. Inapplication de la clause donc. Et manifeste !
Second exemple :
Prenez cette fois le franchisé exsangue qui, totalement berné par des informations précontractuelles exagérément optimistes ou par les mensonges de son franchiseur, entend obtenir l’annulation de son contrat. Mais par définition, ce franchisé, qui a lourdement investi, ne peut se payer un arbitrage. Laissera-t-on sa cause sans suite ? Lui rétorquera-t-on qu’après tout, il n’avait qu’à pas signé la clause ? Formalisme ! Déloyauté ! La clause d’arbitrage devrait là encore être paralysée. Au nom de la bonne foi, dont l’article 1134 alinéa 3 du Code civil exige le respect lors de l’exécution du contrat. Ou bien par d’autres voies.
Les pistes de réforme
A cet égard, l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations en ouvre peut-être une nouvelle. Consacrant et élargissant une jurisprudence bien connue en matière de clause limitative de responsabilité (Cass. Com., 29 juin 2010), le futur article 1170 du Code civil disposera en effet, à compter du 1er octobre 2016, que « toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite ». Or cet article a vocation à s’appliquer à la clause d’arbitrage. Après tout, la clause d’arbitrage prive ici de leur substance toutes les obligations essentielles du franchiseur. De fait, celui-ci se trouve comme dispensé d’avoir à répondre de ses manquements ! La composante la plus essentielle de toute obligation réside d’ailleurs dans la faculté d’en obtenir la sanction.
Peu importent les moyens au fond : les juges, lorsqu’ils prennent conscience d’une injustice, trouvent toujours de quoi habiller leurs décisions. Qu’ils en prennent conscience donc !