Responsabilité de la société mère

L’arrêt rendu le 11 avril 2023 par la Cour d’Appel d’Angers est passé inaperçu. Il mérite pourtant que l’on s’y arrête pour faire le point sur les obligations respectives des parties à un contrat de franchise. Comme souvent, le franchisé insatisfait de l’exploitation soulevait l’absence de savoir-faire « lui procurant un avantage concurrentiel » ainsi que le manquement du franchiseur à son obligation d’information précontractuelle.

Le cas présentait toutefois une spécificité : le franchisé était le premier à exploiter en France sous l’enseigne La Tagliatella, mais le concept de restauration italienne avait été largement éprouvé en Espagne, où une centaine de restaurants étaient en activité lors de la signature du contrat. C’est ainsi la question de la validité en France d’un concept éprouvé à l’étranger, dans un contexte socio-économique différent, qui était posée à la cour d’Anger.

  1. La responsabilité de la société mère tiers au contrat de franchise peut être engagée

La première question soulevée dans l’arrêt du 11 avril dernier, consistait à déterminer si la société mère détenant la société franchiseur (sur la notion de société mère, cf. l’article L 233-1 du Code de commerce) pouvait voir sa responsabilité délictuelle engagée envers les franchisés, qui estimaient avoir subi un préjudice suite à la mauvaise gestion du réseau par le franchiseur (contrôlée donc par une holding).  Cette question en apparence très théorique est en réalité cruciale puisque c’est bien souvent la société mère qui est solvable. 

La Cour d’Angers estime que l’action dirigée contre la société mère est recevable, en se livrant à une analyse extrêmement précise des faits. Elle retient notamment que « la personne chargée de la définition des stratégies de développement des marchés français et allemand était employée par la société » holding. Elle souligne en outre les liens capitalistiques entre la société franchiseur et la société mère. La cour en déduit que la société hodling, dont l’implication dans la gestion du réseau est démontrée, peut voir sa responsabilité délictuelle engagée envers les franchisés. La Cour rappelle au passage qu’il ne peut s’agir que d’une responsabilité délictuelle (bien que la faute ait trait à la gestion du réseau), la holding étant par hypothèse tiers au contrat de franchise.

Ainsi l’écran de la personnalité morale ne joue pas systématiquement : il convient de déterminer, au cas par cas, le degré d’implication de la société mère dans la gestion du réseau du franchise.

  • Les obligations des parties avant la signature du contrat de franchise

L’arrêt du 11 avril est également l’occasion de revenir sur les obligations des parties au stade précontractuel. Le franchisé reprochait en premier lieu au franchiseur de ne pas avoir transmis un savoir-faire viable dans le contexte français. La Cour indique à cet égard « qu’aucun texte n’exige du franchiseur qu’il ait exploité son savoir-faire dans une unité pilote avant la conclusion des contrats de franchise. »

On ne peut que déplorer cet argument, qui est en contradiction avec l’esprit de la franchise. Le savoir-faire doit être éprouvé, ce qui implique nécessairement l’existence d’un point pilote !
En revanche, il est vrai que le concept en l’espèce avait été largement testé en Espagne puisque le réseau comptait plus de 100 points de vente. Les juges auraient donc pu statuer différemment, en soulignant que le franchiseur n’est pas tenu de tester dans le contexte national un concept qui a déjà fait ses preuves à l’étranger, dès lors que le franchisé est parfaitement informé qu’il sera le premier dans l’hexagone. Ce n’est pourtant pas la motivation retenue. En considérant de façon générale que le franchiseur n’a pas l’obligation d’exploiter une unité pilote, les juges angevins s’inscrivent dans la lignée d’une tendance regrettable, qui consiste à décharger progressivement le franchiseur de toutes ses obligations.

Par ailleurs, le Cour d’Appel, se livrant toujours à une analyse très casuistiques, souligne à plusieurs reprises que les devoirs respectifs des parties au stade précontractuel dépendent de l’expérience du franchisé.

S’agissant de l’absence de savoir-faire éprouvé sur le territoire français, le Cour d’Appel note que le franchisé disposait « personnellement d’une bonne connaissance du marché local pour avoir implanté son affaire précédente de restauration dans la même zone commerciale que celle choisie pour y ouvrir son futur restaurant exploité en franchise ».

De même, concernant les comptes prévisionnels, la Cour a estimé que « la longue expérience professionnelle acquise par M. [D] dans le monde des affaires et plus particulièrement dans le domaine de la restauration ».

Ainsi le franchisé expérimenté doit être particulièrement vigilant ! On comprend évidemment la logique qui anime les juges, et qui semble de prime abord emprunte de bon sens. Pourquoi un franchisé aguerri et expérimenté bénéficierait de la même protection qu’un commerçant néophyte ?

La réponse est pourtant simple : même un franchisé expérimenté est dans une situation structurellement asymétrique avec la tête de réseau. Cette dernière dispose par hypothèse d’avantage d’informations notamment sur le réseau, le marché, l’état de la concurrence etc. C’est précisément cette asymétrie structurelle qui justifie l’obligation légale d’information précontractuelle, et ce quel que soit le profil du franchisé.