Les honoraires des arbitres ?

Les arbitres doivent ils revoir leurs honoraires ?

Le problème du coût de l’arbitrage est un problème récurrent auquel se heurtent nombre de franchisés en déconfiture. Les contrats de franchise, en particulier dans la distribution alimentaire, contiennent souvent une clause d’arbitrage. Il s’agit d’une clause prévoyant que tout litige sera soumis à un tribunal arbitral. Ces clauses aboutissent donc à la mise en place d’une justice privée et par conséquent onéreuse.

Les implications des clauses d’arbitrage

En présence d’une telle clause, les parties ne peuvent pas saisir un tribunal étatique. La compétence ou l’honnêteté des arbitres ne sont pas ici contestées. Professionnels soit du droit, soit du secteur d’activité en cause, les arbitres ont généralement à cœur de remplir correctement leur mission. Mais cette justice privée à un coût très élevé et il arrive fréquemment que le partenaire n’ait pas les moyens financiers d’assumer une telle procédure. C’est en particulier le cas lorsque la société franchisée est en liquidation judiciaire. Dans un tel contexte, il serait souhaitable et juridiquement possible de permettre aux parties de saisir le tribunal étatique. Pourtant, la juges s’y opposent fermement.

La Cour d’appel de Paris l’a rappelé dans un arrêt le 30 juin 2021 dans une affaire opposant le groupe CARREFOUR à un ancien franchisé. Le franchisé avait obtenu en première instance que la clause d’arbitrage soit déclarée inapplicable dans la mesure où il n’avait pas les moyens d’assumer le cout de cette procédure. Les juges du tribunal de commerce, avaient pris en compte la réalité économique afin de permettre au franchisé de venir devant la justice étatique, qui a le mérite de la gratuité.

La Cour de Paris a eu une autre lecture des textes : elle a appliqué strictement les dispositions du code de procédure civile et a infirmé le jugement du tribunal de commerce. Les parties ont donc été renvoyées devant les arbitres. Or l’usage veut que ceux-ci soient provisionnés au démarrage de la procédure. Que se passe-t-il lorsque l’une des parties n’a pas les moyens de le faire ?

Il nous faut donc revenir sur cet arrêt du 30 juin 2021 (CA Paris, Pôle 5 – chambre 4, 30 juin 2021, n° 21/02568). La Cour écrit : « L’impécuniosité d’une partie n’est pas de nature à faire échec à l’application du principe compétence-compétence. L’impécuniosité ne constitue, en effet, pas un critère de nature à caractériser l’inapplicabilité manifeste d’une clause compromissoire et il revient aux acteurs de l’arbitrage d’écarter tout risque de déni de justice face à un plaideur aux moyens financiers limités ». (Le principe compétence-compétence énoncé à l’article 1448 du Code de procédure civile, implique que seul le tribunal arbitral peut statuer sur sa compétence et la retenir ou pas).

Risque de déni de justice et arbitrage

La Cour de Paris estime par conséquent qu’il incombe aux arbitres de remplir leur mission, en évitant tout déni de justice. Faut-il donc en déduire que la Cour demande implicitement de rendre la justice sans être rémunérés, ou peu rémunérés ?

Ainsi la rédaction de l’arrêt est à tout le moins paradoxale : les magistrats refusent de prendre en compte l’impécuniosité de l’une des parties tout en écrivant que celle-ci ne doit pas avoir pour conséquence d’aboutir à un déni de justice. C’est donc aux arbitres d’éviter le déni de justice en tenant compte la situation économique des parties.

Comment cette prise en compte doit-elle intervenir : plusieurs pistes sont possibles. En premier lieu, les arbitres, pourraient revoir à la baisse leurs honoraires. En second lieu, ces mêmes arbitres pourraient mettre à la charge de la partie « forte » leurs honoraires, cette partie forte étant de surcroit le rédacteur du contrat. C’est donc cette partie forte qui se trouve à l’origine de l’insertion de la clause d’arbitrage et cette circonstance pourrait justifier que cette partie assume les frais d’une procédure qu’elle a choisie et imposée.

Mais les suggestions de la cour de Paris sont quelques peu décevantes : les franchisés, contraint de signer des contrats d’adhésion, espéraient que les magistrats professionnels seraient sensibles à la complexité de leur situation et au déséquilibre découlant de contrats d’adhésion.  En l’occurrence les juges consulaires, qui ont estimé décisive la réalité économique, ont été désavoués.

Il faut espérer que la légitimité de la contestation d’une clause d’arbitrage soit un jour admise par la jurisprudence.

Il faut d’abord rappeler qu’en matière de contrats de distribution, le recours à l’arbitrage ne se justifie pas par des raisons de confidentialité ou de technicité de la matière abordée.

D’un point de vue juridique les arguments existent pour contester l’applicabilité d’une clause d’arbitrage lorsque l’une des parties n’est pas en mesure d’assumer le cout de la procédure.

En premier lieu, la clause d’arbitrage pourrait tout à fait être écartée sur le fondement du droit d’agir en justice dès lors que, dans un cas particulier, elle aboutit concrètement à priver un justiciable, ici le distributeur en position de faiblesse économique, de son droit d’agir, lequel est garanti non seulement par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, mais encore par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Si celle-ci pouvait être saisie avant que tous les recours internes aient été épuisés, et par conséquent avant que les plaideurs ne soient totalement exsangues, il y a d’ailleurs fort à parier qu’elle pourrait remettre en cause l’application de certaines clauses d’arbitrage.

En deuxième lieu, une clause d’arbitrage qui a pour effet d’empêcher un franchisé ou un concessionnaire d’agir en justice en raison du coût que représente la mise en place d’un tel mode de résolution des litiges prive littéralement les obligations du franchiseur ou du concédant de leur substantifique moelle. Et pour cause : ces obligations ne sont plus assorties de la moindre sanction effective si le franchisé ou le concessionnaire ne peut aller en justice ! De ce point de vue, la clause pourrait donc être réputée non écrite sur le fondement de l’article 1170 du Code civil, aux termes duquel, rappelons-le : « Toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite ». A moins que la jurisprudence préfère convoquer l’article suivant, 1171 donc, qui dispose cette fois que « dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui créé un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite ».

La Cour de Paris a statué en ce sens très récemment. Elle a ainsi rappelé que « l’accès à la justice, en ce qu’il permet de garantir l’effectivité des droits, relève de l’ordre public international », de sorte qu’« une convention d’arbitrage qui ferait obstacle à cet accès serait contraire à l’ordre public international et donc nulle ». En somme, si une convention d’arbitrage, par laquelle les parties consentent à soumettre leur litige à un arbitre et qui emporte nécessairement renonciation à la justice étatique et, en France, à la gratuité du service public de la justice, ne saurait en elle-même porter atteinte à l’accès à la justice », « ses modalités doivent être examinées afin de vérifier qu’elles ne privent pas, dans leur mise en œuvre, une partie d’un accès à la justice et ne portent pas une atteinte effective au droit fondamental d’accès à la justice » (CA Paris, 5, 16, 19 octobre 2021, n°18/01254, spéc. pt 27 et s.).

Le droit fondamental d’aller en justice ne doit pas être annihilé par le coût de l’arbitrage. Il y a donc à tout le moins un paradoxe, voire une contradiction entre l’arrêt du 30 juin 2021 et celui du 19 octobre 2021. Dans le premier les magistrats estiment que l’impécuniosité n’est pas un motif d’annulation d’une clause d’arbitrage et dans le second, ils rappellent que l’arbitrage ne doit pas porter une atteinte effective au droit d’accès à la justice.

Le moins que l’on puisse dire est que la situation n’est pas claire pour le justiciable qui s’est vu imposer une clause qui lui interdit ensuite de faire valoir ses droits.

Les arbitres ont un rôle à jouer pour garantir l’accès à la justice. A eux de remplir leur mission en ayant cet impératif à l’esprit avec les conséquences qui en découlent. Messieurs les Arbitres, il vous est demandé de prendre en compte la situation économique des parties !