La validité de la clause de préemption à l’épreuve du droit de la concurrence

La clause de préemption sous l’aspect droit de la concurrence : à propos de Cass. com., 4 novembre 2014, n° 12-25419

La décision n’est pas publiée au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation. Elle n’en présente pas moins une très grande importance théorique et pratique. Qu’on en juge :

Rappel des faits

Nous sommes dans le secteur de la distribution alimentaire.

Comme souvent, le contrat de franchise stipulait un droit de préemption au profit du franchiseur. A égalité de prix et de conditions, en cas, notamment, de cession ou transfert des droits de propriété ou de jouissance sur le local d’exploitation. De même en cas de cession ou transfert des droits de propriété ou de jouissance ou de mise en location-gérance sur le fonds de commerce. La clause est quasiment de style. Elle permet au franchiseur de préserver son parc de magasins ; de contrôler le maillage territorial de son réseau.

L’arrêt rendu le 4 novembre dernier par la chambre commerciale de la Cour de cassation le rappelle pourtant très nettement que le contrat peut avoir des effets au delà des parties. La validité d’un droit de préférence contractuel ne peut pas s’apprécier qu’à l’aune de l’intérêt des contractants. L’intérêt du marché et celui des concurrents doivent également peser dans la balance…

En l’espèce, la clause de préemption était stipulée au profit de Carrefour. Après avoir résilié son contrat, le franchisé s’était rapproché d’une enseigne concurrente, Casino, concluant avec cette dernière un contrat de cession de son fonds sous la condition suspensive de la conclusion d’un contrat de gérance-mandat au profit de son gérant. Carrefour, évidemment, avait vu rouge. Craignant de perdre un emplacement, elle avait assigné son ancien partenaire afin qu’il lui soit interdit de céder son fonds à la société Casino et que la cession soit ordonnée à son profit. Et dans l’hypothèse où la cession litigieuse serait cependant intervenue au profit de la société Casino, elle sollicitait du juge une substitution de plein droit à cette société.

Le raisonnement de la Cour de cassation

La cour d’appel avait suivi Carrefour et prononcé la substitution. Elle donnait ainsi plein effet à la clause de préemption. Son arrêt est néanmoins sèchement cassé.

Visant les articles L.420-1 et L.420-3 du Code de commerce, la Cour de cassation commence par poser de manière extrêmement générale et abstraite que :

« est prohibée, et partant nulle, toute clause contractuelle ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, notamment lorsqu’elle tend à limiter l’accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d’autres entreprises ».

Elle reproche ensuite à la cour d’appel de ne pas avoir vérifié les effets anticoncurrentiels de la clause de préemption litigieuse. Les magistrats du second degré s’étaient en effet bornés à relever qu’une clause de préemption ne peut être considérée comme une pratique anticoncurrentielle. En effet, seule la liberté de choisir son cocontractant est affectée par le pacte. Il n’oblige pas les parties à conclure le contrat pour lequel la préférence est donnée, le cédant n’étant pas obligé de céder son bien et le bénéficiaire n’étant pas obligé de l’acquérir. Ce faisant, ils n’avaient toutefois pas recherché :

« si la stipulation, dans les contrats de franchise consentis par la société Carrefour, d’un droit de préférence à son profit, valable pendant toute la durée du contrat et un an après son échéance, n’avait pas pour effet, en limitant la possibilité de rachat de magasins indépendants par des groupes de distribution concurrents, de restreindre artificiellement le jeu de la concurrence sur le marché du détail de la distribution à dominante alimentaire ».

Cassation donc. Pour manque de base légale.

La portée de l’arrêt

La portée de cet arrêt est sans doute circonscrite au domaine de la distribution alimentaire. De fait, la structure de ce secteur économique présente de grandes spécificités. Ces dernières sont bien mises en lumière par l’Autorité de la concurrence dans son célèbre avis n° 10-A-26 du 7 décembre 2010. Au demeurant, la formulation qu’adoptent ici les magistrats du Quai de l’horloge est très circonstanciée. La solution ne vaut manifestement que pour les clauses stipulées dans les contrats consentis par la société Carrefour. La Cour de cassation prend soin de relever que le droit de préférence valait non seulement pendant toute la durée du contrat, mais aussi un an après son échéance. Or il est effectivement très contestable qu’un franchiseur se réserve ainsi un droit de regard sur l’exploitation d’un ancien partenaire.

Il n’en demeure pas moins que l’arrêt du 4 novembre illustre fort bien l’influence que le droit de la concurrence exerce sur le droit commun des contrats. La célèbre affaire des cuves l’avait déjà illustré.  Une clause obligeant un pompiste de marque à restituer les cuves prêtées par une compagnie pétrolière n’encourt peut-être aucun grief au regard du droit des contrats. Elle n’en est pas moins nulle au regard du droit de la concurrence. Dans la mesure où la restitution en nature est particulièrement coûteuse, elle empêche le distributeur de s’affilier à un réseau concurrent à la fin de son contrat. Elle verrouille le marché en somme (Cass. com., 18 fév. 1992). C’est exactement la même logique que suit ici la Cour de cassation.