Loi Doubin : back to basics

Au sujet de l’arrêt rendu le 2 mars 2022 par la Cour d’Appel de Grenoble

Il ne suffit de relooker l’intitulé d’un contrat !

Le réseau RELOOKING CONCEPT, qui se présente comme le leader sur le marché de la beauté et de la minceur propose aux candidats à l’affiliation un contrat dit de licence de marque. L’expert de la beauté fait miroiter aux futurs affiliés un « business avec un faible investissement, dans une profession agréable », le tout « avec le soutien d’un réseau expérimenté ». 

Sans doute séduit par ces perspectives alléchantes, la société appelante avait signé un « contrat de licence de marque » pour exploiter un institut sous l’enseigne RELOOKING CONCEPT. La rentabilité promise n’étant pas au rendez-vous, le licencié s’est rapidement heurté à de graves difficultés financières, qui l’ont mené à la liquidation judiciaire. Il s’est par la suite retourné contre le concédant, en soutenant notamment que le contrat de licence était en réalité un contrat de franchise ; que ce dernier devait être annulé pour dol ; et que les sommes versées en exécution dudit contrat devaient lui être restituées.  

Dans un jugement rendu par le Tribunal de commerce de Romans sur Isère, les juges consulaires avaient effectivement requalifié le contrat de licence en contrat de franchise. Il s’agissait toutefois d’une victoire en demi-teinte puisque toutes les autres demandes de l’ancien franchisé avaient été rejetées : pas de nullité, pas d’indemnisation…  Pas de sanction en somme !

Saisie de ce litige en appel, la Cour d’Appel de Grenoble a confirmé la requalification du contrat de licence en contrat de franchise. Pour le reste, elle a infirmé le jugement de première instance, a prononcé la nullité du contrat de franchise et condamné aux restitutions subséquentes. L’arrêt de la Cour d’Appel de Grenoble rappelle de façon opportune qu’un contrat peut toujours être requalifié (I). Elle revient ensuite sur les conditions et les conséquences de l’annulation du contrat de franchise (II).

I. La requalification du contrat de licence en contrat de franchise : une mise en garde aux rédacteurs des contrats

En confirmant la requalification du contrat de licence en contrat de franchise, la Cour d’Appel de Grenoble rappelle que le juge n’est aucunement lié par la qualification donnée au contrat par les parties. Cette règle découle directement de l’article 12 alinéa 2 du Code de procédure civile, au terme duquel le juge « doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée. »

En requalifiant le contrat de licence en contrat de franchise, la Cour d’Appel met en garde les rédacteurs « astucieux » : la tête de réseau qui se targue d’avoir développé un savoir-faire et de proposer à ses affiliés un concept « clef-en-main » ne peut pas en parallèle échapper à ses obligation de franchiseur. Il faut un minimum de cohérence !

Dans l’affaire soumise à la Cour, la requalification n’était pourtant pas nécessaire : la nullité du contrat pour dol aurait parfaitement pu être prononcée s’agissant d’un contrat de licence. La portée de l’arrêt en sort renforcé : la Cour d’Appel a pris soin d’insister sur la requalification alors même qu’elle n’emporte pas de conséquences pratiques afin de mettre en garde les rédacteurs des contrats de distribution : on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre ! Si vous vendez un concept clef en main, il faut fournir les prestations qui vont avec !

II.  Les conditions et les conséquences de la nullité : retour à l’esprit de la loi Doubin

Après avoir requalifié le contrat de licence de marque en contrat de franchise, les juges grenoblois se sont empressés de l’annuler pour dol. Là encore, l’arrêt n’est pas novateur… Mais il est rassurant ! La Cour d’Appel a pris soin de bien détailler l’obligation d’information précontractuelle qui pèse sur le franchiseur en vertu de l’article L 330-3 du Code de commerce. Elle a ensuite constaté que le document remis au candidat à la franchisé était en l’espèce « gravement incomplet et tronqué », ce qui révélait la volonté de tromper le franchisé.


Cet arrêt est conforme tant à la lettre qu’à l’esprit de la loi Doubin. Pour que l’obligation d’information précontractuelle produise un effet, il effet, il faut bien considérer que sa violation vicie le consentement du franchisé. Admettre le contraire reviendrait simplement à revenir au droit commun.

Pourtant la jurisprudence a parfois eu une interprétation contestable de ce texte. Certains arrêts ont renversé la charge de la preuve, soit en exigeant du franchisé qu’il démontre qu’en présence de telle information manquante il n’aurait pas contracté ; soit en imposant au franchisé une obligation de se renseigner lui-même.

Face à cette ligne jurisprudentielle contestable et contraire à l’esprit de la loi Doubin, l’arrêt rendu le 2 mars 2022 par la Cour de Grenoble a le mérite de remettre les pendules à l’heure : en présence d’un DIP lacunaire, le contrat doit être annulé, puisqu’il est évident que les informations qui auraient dû être contenues dans le DIP sont, par hypothèses, déterminantes du consentement du franchisé.