Les effets pervers des clauses de conciliation

Les clauses de conciliation permettent en théorie de désengorger les tribunaux. Qu’il faille éviter de recourir aux tribunaux pour vider un litige commercial, seuls les Plaideurs de Racine en disconviendront. Mais les clauses de conciliation ou de médiation stipulées dans les contrats de distribution (franchise, concession, commission affiliation…) sont-elles un moyen d’y parvenir ? Voilà une question qui suscite en revanche davantage de circonspection.

Les bienfaits prétendus des clauses de conciliation

Certes, de telles clauses participent des M.A.R.D. (les « Modes Alternatifs de Règlement des Différends»), jouissant ainsi d’un a priori positif. De fait, celles-là comme ceux-ci ont le vent en poupe. En prévoyant qu’avant toute action judiciaire, les parties s’efforceront de parvenir à une conciliation, par elles-mêmes ou par l’intermédiaire d’une tierce personne, ces clauses ne manifestent-elles pas une espèce de bonne volonté dont il y aurait mauvaise grâce à se plaindre ? Gage de rapidité et de confidentialité, elles favoriseraient en outre la sécurité. Et ce pour une raison apparemment indiscutable : une solution a plus de chance d’aboutir à la pacification d’un conflit lorsqu’elle est acceptée par les parties que lorsqu’elle est imposée par un juge.

Les effets pervers des clauses de conciliation

Et pourtant : tâchons d’aller au-delà des apparences. Les effets pervers de ce type de clauses aboutissent alors à remettre en cause leur opportunité. Pour une raison de principe tout d’abord. Après tout, si les parties sont véritablement animées de la volonté d’aboutir à un accord pour résoudre leur conflit, il n’est pas besoin de s’embarrasser à l’avance d’une quelconque procédure, celle-ci fût-elle moins contraignante que la procédure judiciaire. La meilleure conciliation restera toujours celle qui s’effectue autour d’une table, sans calendrier, ou par téléphone d’avocat à avocat.

Il y a même quelque contradiction à vouloir forcer quelqu’un à négocier en brandissant une clause à cet effet. Objectera-t-on que les clauses de conciliation ou de médiation n’imposent aucune obligation de résultat mais se bornent à obliger les parties à entrer en voie de négociation ? Mais à quoi bon instaurer un simulacre de discussion si l’une des parties, dans son for intérieur, ne souhaite pas, pour une raison ou pour une autre, négocier avec son vis-à-vis ? Autant vaudrait passer directement à la procédure judiciaire, les avantages escomptés de la clause de conciliation ou de médiation étant alors purement illusoires.

Dans ces conditions, on comprend mal que la Cour de cassation persiste à décider que « la clause d’un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge constitue une fin de non recevoir qui s’impose au juge si les parties l’invoquent » qui « peut être proposée en tout état de cause » .

Les modes alternatifs de règlement des différends ne doivent pas conduire à un déni de justice

Lorsque la clause de conciliation prévoit la nomination d’un médiateur, l’application pratique de cette jurisprudence pose d’ailleurs un véritable problème. Au regard du droit à l’accès à un Tribunal que garantit l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme en particulier. Il convient déjà de relever que la désignation d’un conciliateur, nécessairement judiciaire en cas de désaccord, est susceptible de retarder d’autant le traitement du conflit. Trois ou quatre mois : voilà qui peut s’avérer bien long et déterminant pour une partie acculée. C’est en tout cas plus qu’il n’en faut pour déposer un bilan. L’effet pervers est ici manifeste : stipulée pour accélérer les choses, la clause peut être une véritable source d’enlisement.

Pour le reste, il suffit de rappeler que le médiateur ne travaille pas pour rien. Selon qu’il sera plus ou moins gourmand, la question de ses émoluments pourra donc également contribuer à envenimer la situation. Sans compter que ses honoraires ressemblent alors à s’y méprendre à une espèce de ticket d’entrée dont devra d’abord s’acquitter celui qui s’estime lésé par un comportement pour ensuite accéder à la justice.

Si l’on ajoute que la rédaction alambiquée de certaines clauses de conciliation ou de médiation sont un nid à contentieux dans lequel la partie qui y trouve son compte est toujours tentée de se lover, on aura encore une meilleure idée des effets potentiellement pervers de ces clauses. Ainsi pourra-t-il être difficile de déterminer avec certitude si telle ou telle clause intitulée « clause de médiation » ne s’analyse pas plutôt, eu égard à son contenu, en une véritable clause d’arbitrage. Soutiendra-t-on alors que cette clause est un gage de sécurité juridique ?

Conclusion : les dangers soulevés par les clauses de médiation et de conciliation

En définitive, il se pourrait donc que la conclusion fût moins optimiste que prévue. Les clauses de conciliation ou de médiation ne sont pas seulement inutiles. Elles peuvent également s’avérer dangereuses. Soit les parties souhaitent aboutir à une négociation et, dans ce cas, elles y parviendront sans se référer le moins du monde à la clause. Soit les parties ne sont nullement animées d’une volonté de conciliation, auquel cas la clause ne servira qu’à allonger la procédure et à en alourdir le coût, le plus souvent au détriment de la partie économiquement faible. En clair, aucune raison avouable ne justifie l’insertion d’une clause de conciliation ou de médiation dans un contrat de distribution. Éviter les tribunaux : oui ; stipuler une clause de conciliation : non.