Professionnels du mobile, situation fragile !

Le sort des distributeurs d’abonnements téléphoniques évincés de leur réseau

Les distributeurs d’abonnements téléphoniques subissent le tassement du marché ; cela se constate même au plus haut niveau des juridictions françaises. A quelques mois d’intervalle, la Cour de cassation a en effet rendu deux importantes décisions à propos à ce sujet . A chaque fois, la situation est à peu près la même : un distributeur lié à un opérateur de téléphonie mobile par un contrat de distribution exclusif se retrouve sans réseau, son contrat n’étant pas renouvelé ou faisant l’objet d’une résiliation anticipée. Dans les deux cas, le distributeur demande une sorte d’indemnité d’éviction.

Le problème est cependant bien connu : à défaut de prouver un abus de la part du maître du réseau, le distributeur évincé se trouve apparemment dépourvu de toute protection. Privé de ressources économiques, il serait également dénué de ressources juridiques.

Les juristes ont toutefois de l’imagination. Afin de soutenir la cause de ces distributeurs, certains ont ainsi eu l’idée de solliciter l’application du statut d’agent commercial. Il est vrai que celui-ci a ceci d’attractif qu’il prévoit expressément une indemnité compensatrice du préjudice subi en cas de cessation du contrat . Simple coup d’épée dans l’eau néanmoins… Dans un arrêt du 15 janvier 2008, la chambre commerciale de la Cour de cassation rejette la thèse en rappelant que « l’agent commercial est un mandataire indépendant chargé de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats au nom et pour le compte de son mandant ». Or, relève la Cour, le distributeur chargé d’assurer la diffusion de services de radiotéléphonie et d’assumer les tâches liées à l’enregistrement des demandes d’abonnement, ne pouvait apporter aucune modification aux tarifs et conditions des abonnements, ce qui excluait tout pouvoir de négociation au sens de la définition rappelée ci-dessus. En clair, c’est parce qu’il ne pouvait rien changer aux contrats d’abonnements qu’il diffusait que le distributeur ne pouvait se prévaloir du statut d’agent.

Ce faisant, la Cour de cassation adopte une conception extrêmement restrictive de l’agence commerciale. De fait, n’est-il pas réducteur de lier le pouvoir de négociation d’un contrat à la faculté d’en modifier les clauses ? Une personne dont la tâche consiste à convaincre une autre de conclure un contrat ne « négocie »-t-elle pas elle aussi ? Rappelons d’ailleurs qu’un agent commercial chargé de conclure des contrats au nom et pour le compte de son donneur d’ordres peut fort bien être tenu de respecter les instructions impératives de ce dernier. Privé du pouvoir de modifier le contrat qu’il conclut pour son donneur d’ordres, l’agent n’en perd pas pour autant le bénéfice de son statut. De ce point de vue, l’arrêt du 15 janvier s’avère critiquable.

Reste qu’il exclut la qualification d’agent de manière particulièrement ferme. Le distributeur d’abonnements téléphoniques dispose-t-il d’autres moyens de protection ? Telle est donc la question qui reste en suspens.

Deux pistes de réflexion viennent alors à l’esprit. Du côté du droit du travail, tout d’abord. Et pour cause : si les distributeurs d’abonnements n’ont bel et bien aucune marge de manœuvre sur les tarifs et les conditions de vente, l’application du droit du travail est envisageable. Elle l’est d’autant plus que ces distributeurs exploitent le plus souvent leur boutique de manière exclusive pour le compte de tel ou tel opérateur dans un local agréé par ce dernier, ce qui permet de brandir l’article L 7321-2 2° b du Code du travail. Du côté du droit des obligations, ensuite. Dans un arrêt du 9 octobre 2007, la Cour de cassation a reconnu à un franchisé SFR le droit à une indemnité de fin de contrat aux motifs que la cessation de son contrat avait eu lieu du fait du franchiseur d’une part, qu’en raison de la clause de non-concurrence stipulée dans le contrat, cette cessation aboutissait à  déposséder le franchisé de sa clientèle d’autre part.

Certes, l’arrêt du 15 janvier précité n’évoque à aucun moment la solution posée en 2007. Cela étant, le distributeur n’invoquait pas ici l’effet préjudiciable d’une clause de non-concurrence. Il est donc encore un peu tôt pour enterrer les espoirs suscités par la jurisprudence du 9 octobre 2007. Espérons toutefois qu’un prochain arrêt fixe le sort de ces distributeurs dont la situation demeure, en attendant, beaucoup trop fragile.

Contrat de franchise et indemnité de clientèle : Justice est faite ! (à propos d’un arrêt rendu le 9 octobre 2007 par la chambre commerciale de la Cour de cassation)

Le contrat de franchise et l’indemnité de clientèle

Tout franchisé est naturellement frappé d’une espèce de schizophrénie : commerçant indépendant, il est affilié à un réseau dont l’image et la discipline établissent pour lui une véritable dépendance. Et son statut de balancer ainsi constamment entre indépendance juridique et dépendance économique.

Le droit s’est avisé de ce tiraillement par un certain nombre de mesures protectrices du franchisé. Ainsi la célèbre loi « Doubin » de 1989 a-t-elle imposé aux franchiseurs de délivrer aux candidats à la franchise un document d’information précontractuelle censé permettre à ces derniers de s’affilier en pleine connaissance de cause . Pour lors, le législateur est toutefois resté extrêmement timide. Contrairement à d’autres acteurs du droit de la distribution (agents commerciaux, VRP etc…), le franchisé n’a pas fait l’objet d’un dispositif législatif d’ensemble. Qu’à cela ne tienne : la jurisprudence a pris le relais, manifestant au besoin son pouvoir créateur. L’arrêt rendu le 9 octobre 2007 par la chambre commerciale de la Cour de cassation participe ainsi clairement de l’élaboration d’un statut protecteur du franchisé.

En l’espèce, six contrats de franchise avaient été conclus pour une durée de deux ans. Après plusieurs renouvellements, le franchiseur avait refusé de reconduire cinq des contrats arrivés à leur échéance et résilie le sixième sans préavis. Le franchisé l’assigne alors en lui demandant le paiement d’une indemnité de clientèle liée à la cessation des contrats. Débouté par la Cour d’appel de Paris, le franchisé forme un pourvoi qui, sur ce point, est accueilli par la Cour de cassation aux motifs suivants : « alors qu’elle constatait, tout à la fois, que le franchisé pouvait se prévaloir d’une clientèle propre, et que la rupture du contrat stipulant une clause de non-concurrence était le fait du franchiseur, ce dont il se déduisait que l’ancien franchisé se voyait dépossédé de cette clientèle, et qu’il subissait en conséquence un préjudice, dont le principe était ainsi reconnu et qu’il convenait d’évaluer, au besoin après une mesure d’instruction, la cour d’appel a violé le texte susvisé ». C’est dire qu’un franchisé a droit à une indemnité de clientèle lorsque la cessation du contrat n’est pas de son fait d’une part, conduit à le déposséder de sa clientèle d’autre part.

A l’évidence, cette décision est une petite révolution. Et pour cause : cela faisait plusieurs décennies que les franchisés réclamaient le bénéfice d’une indemnité qui fût indépendante des dommages et intérêts accordés lorsqu’un franchiseur rompt abusivement le contrat. Or jusqu’à présent, la Cour de cassation l’avait refusé. Ce rejet sentait néanmoins par trop son juridisme : un franchisé a beau être juridiquement indépendant, la cessation de son contrat ne s’en traduit pas moins souvent pour lui par une perte de clientèle attachée à la marque du réseau dont il faisait partie. Dans ce cas, il subit donc bien un préjudice qu’aucune raison (aucune cause, d’après l’arrêt du 9 octobre) ne justifie.

En ce sens, l’arrêt du 9 octobre 2007 prend opportunément en compte la dépendance économique dans laquelle se trouve la plupart des franchisés. Il s’agit d’éviter cette injustice qui consiste à priver le franchisé du fruit de ses efforts. De la même manière qu’un bailleur ne saurait évincer son locataire commercial sans payer une indemnité d’éviction correspondant à la valeur de son fonds de commerce, un franchiseur ne saurait faire main basse sur le fonds de son ancien partenaire sans lui payer une indemnité compensatrice du préjudice subi. Nul besoin de prouver un abus du franchiseur : l’indemnité de clientèle ne sanctionne pas une faute mais un état de fait, à savoir la dépossession du franchisé. Tel est le cas, comme dans l’arrêt commenté, lorsque la clause de non-concurrence stipulée dans le contrat de franchise n’est compensée par aucune contrepartie financière.

Quoiqu’il en soit, la règle posée dans l’arrêt du 9 octobre 2007 est d’autant plus importante que sa formulation extrêmement large permet d’en envisager l’extension à d’autres types de distributeurs que les franchisés. Ainsi des concessionnaires exclusifs par exemple. Les tribunaux auront sûrement l’occasion de le confirmer. Comme l’enseigne le vieux dicton, tout vient à point à qui sait attendre…