La loi El Khomri sous le feu des franchiseurs

Quelles seront les conséquences pour les réseaux de franchise de la loi El Khomri ?

L’article 29 bis A de la loi travail agite depuis quelques jours le monde de la franchise. Adopté par l’Assemblée via la procédure dérogatoire prévue à l’article 49 alinéa 3 du la Constitution, cet article très controversé prévoit la mise en place d’une instance de dialogue dans les réseaux de franchise atteignant plus de 50 salariés.

Le propre de la franchise étant l’indépendance de chaque unité, cette innovation inspirée du droit du travail paraît de prime abord surprenante. L’article 29 bis A remet en cause le principe fondateur de la franchise qu’est l’indépendance : le réseau est appréhendé comme une entité économique unique, à la tête de laquelle se trouve le franchiseur. Ce dernier aura en charge la mise en place d’une instance de dialogue composée d’un représentant du franchiseur, d’un représentant des franchisés et d’un nombre de représentants des salariés variant en fonction de la taille et de l’effectif total du réseau.

Du point de vue des franchiseurs :

La souplesse caractéristique de la franchise est battue en brèche. Certains vont même jusqu’à s’offusque de cette position de « co-employeur » qui ne serait que la première étape vers une responsabilité plus générale du franchiseur en cas de déconfiture des franchisés. A mon sens, un tel risque n’est pas avéré : le droit du travail est dérogatoire et a pour but de protéger les salariés. D’un point de vue juridique un glissement vers une responsabilité générale du franchiseur est peu probable dans la mesure où les règles du droit du travail sont très spécifiques et où les juges judiciaires continueront à appliquer sans sourciller le droit classique des contrats et de la responsabilité.

Du point de vue des franchisés :

L’instauration d’une instance de dialogue peut être bénéfique en permettant de centraliser les informations et en facilitant les échanges au sein du réseau. Il est fréquent que plusieurs franchisés soient confrontés aux mêmes difficultés donc un tel mécanisme centralisé pourrait réduire les coûts et créer des synergies au sein du réseau. Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue que le franchisé est souvent un petit commerçant qui doit gérer au quotidien son point de vente et n’aura vraisemblablement ni le temps ni la surface financière pour se préoccuper d’une telle instance. En toute hypothèse, des précisions doivent être apportées sur le rôle, le financement et les pouvoirs de « l’instance de dialogue ». En l’état, la loi est lacunaire sur ces questions essentielles.

Du point de vue des salariés:

L’article 29 bis A est de toute évidence extrêmement protecteur. Cette disposition met notamment en place une obligation de reclassement, pesant à la fois sur le franchiseur et le franchisé, en cas de licenciement économique. Économiquement, dans un contexte de chômage élevé, il est pertinent de tenter de reclasser rapidement un salarié dans une entreprise au sein de laquelle il pourra être directement opérationnel. Or le propre de la franchise réside précisément dans la réitération d’un concept, d’un savoir-faire et par conséquent des méthodes de travail. A cet égard, l’obligation de reclassement au sein d’un réseau de franchise est une idée, certes subversive, mais potentiellement pertinente.

L’article 29 bis A tend donc à transposer au sein des réseaux de franchise un dispositif propre au droit du travail dans la perspective clairement affirmée de protéger les salariés. Certains arguments plaident en faveur d’une obligation de reclassement, notamment le fait que toutes les unités exploitent un même savoir-faire. Tout dépendra de la façon dont cette obligation sera mise en œuvre.

Le franchiseur est-il responsable du fait de son franchisé ?

Le principe : franchisé est franchiseur sont des commerçants juridiquement indépendants.

La franchise relie deux commerçants, franchiseur et franchisé, juridiquement indépendants.

De sorte que chacun est censé répondre de ses fautes, point. Au reste, la plupart des contrats stipulent expressément qu’en aucun cas les tiers ne pourront rechercher la responsabilité du franchisé du fait de ses errements. C’est toutefois un peu court.

D’abord, il est évident qu’en sa qualité de tête de réseau, un franchiseur est tenu d’en assurer la discipline. Que l’un des franchisés vienne à défaillir, l’image de tout le réseau en est affectée. Le franchiseur qui n’y mettrait pas bon ordre engagerait ainsi nécessairement sa responsabilité envers les autres franchisés.

Ensuite, même les tiers peuvent être tentés de rechercher la responsabilité du franchiseur.

Tel sera le cas, par exemple, si la franchise distribue des produits qui s’avèrent défectueux. Les articles 1386-1 et suivants du code civil ne peuvent être contournés par le franchiseur qui, s’il distribuait les dits produits aux franchisés pour que ceux-ci les revendent, peut naturellement être inquiété.

La responsabilité des commettants du fait de leurs préposés dans l’avant-projet de réforme du droit de la responsabilité civile

Mais l’avant-projet de réforme de la responsabilité civile ouvre de plus larges perspectives encore. Il reformule en effet le texte applicable à la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés dans des conditions telles que son champ d’application en ressort considérablement élargi. A l’heure actuelle, la notion de commettant est principalement associée à celle de patron, d’employeur. Avec cette idée simple que l’employeur répond des fautes de ses salariés dès lors que celles-ci ne participent pas d’un abus de fonction. Demain, si l’avant-projet de loi passe en l’état, cette notion sera cependant bien plus général. Qu’il suffise de lire l’article 1249 du code civil dans sa version envisagée :

« Le commettant est responsable de plein droit des dommages causés par son préposé. Est commettant celui qui a le pouvoir de donner des ordres ou des instructions en relation avec l’accomplissement des fonctions du préposé.

En cas de transfert du lien de préposition, cette responsabilité pèse sur le bénéficiaire du transfert ».

En voilà une définition ! Manifestement, elle correspond à la relation qu’entretiennent franchiseur et franchisés. Celui-là ne donne t-il pas à ceux-ci des « instructions en relation avec l’accomplissement » de leur fonction ?

Une responsabilité fondée sur un lien de dépendance économique

L’idée, au demeurant, n’est pas totalement nouvelle. Dès 2005, l’avant-projet de réforme du droit des obligations rédigé sous les auspices de Pierre Catala s’attaquait à cette question. L’avant projet proposait de consacrer expressément la responsabilité des franchiseurs du fait des franchisés. Cette responsabilité était justifiée par le lien de dépendance économique qui les relie. C’était l’article 1360 de ce corpus, dont le texte demeure fort intéressant :

« En l’absence de lien de préposition, celui qui encadre ou organise l’activité professionnelle d’une autre personne et en tire un avantage économique est responsable des dommages causés par celle-ci dans l’exercice de cette activité (…). De même, est responsable celui qui contrôle l’activité économique ou patrimoniale d’un professionnel en situation de dépendance, bien qu’agissant pour son propre compte, lorsque la victime établit que le fait dommageable est en relation avec l’exercice du contrôle. Il en est ainsi notamment des sociétés mères pour les dommages causés par leurs filiales ou des concédants pour les dommages causés par leurs concessionnaires ».

Peut-être quelque fédération, association ou autre groupe de pression arrachera t-elle au gouvernement un nouveau texte qui atténue le risque que représente cet article 1249…

Il n’en contient pas moins une idée très juste : dès lors qu’un franchiseur contrôle étroitement les conditions d’exercice de l’activité de ses franchisés, il encourt une certaine responsabilité. Là où est le pouvoir, se trouve la responsabilité : l’adage est connu.

La responsabilité du franchiseur du fait de son franchisé

En toute hypothèse, la responsabilité du franchiseur du « fait » de ses franchisés ne se conçoit pas seulement pour faute. Imaginez un franchisé, exploitant son activité sous forme sociétaire, dont les affaires tournent mal. Sa chute précipite nécessairement la ruine de son dirigeant personne physique. Elle cause aussi des difficultés aux cocontractants de ce franchisé. Toutes ces victimes par ricochet ne peuvent-elles rechercher la responsabilité du franchiseur ? Imaginons par exemple que cet échec soit dû à un mauvais concept, de mauvais conseils, une mauvaise assistance ? Cela paraît normal. Dans toutes ces hypothèses, l’échec, « le fait » du franchisé n’est que la conséquence, voire la manifestation de la « faute » personnelle du franchiseur.

Certes, les franchiseurs aiment à jouer sur le registre de la responsabilité en rappelant que la franchise n’est pas l’assistanat. Soit. Mais qu’ils prennent également leur responsabilité et assument jusqu’au bout la logique de ce discours. Les franchisés ne doivent pas être des assistés, c’est entendu. Mais pas plus que les franchiseurs ne doivent être des rentiers.

 

Loi Doubin : une justice à deux vitesses ?

La loi Doubin est censée être la même pour tout le monde (Trib. com. Paris, 5e chambre, 22 mars 2016).

Sans doute chaque affaire est-elle particulière. Sans doute aussi les juges ne doivent pas statuer par voie de disposition générale (C. civ., art. 5). Reste que la loi est censée être la même pour tout le monde. L’application que les juges font de la loi Doubin ne répond pas toujours à cette exigence.

En droit de la distribution comme ailleurs. Or il faut bien l’avouer : la plupart des décisions rendues ces dernières années au sujet de l’information précontractuelle qu’un franchiseur est tenu de remettre aux candidats à l’intégration de son réseau témoignent d’un éclatement brouillon qui apparente chaque procès à une espèce de loterie.

La réduction progressive de l’obligation d’information du franchiseur

A s’en tenir aux décisions les plus récentes, la Cour de cassation s’est ainsi arrogée le droit de distinguer là où la loi ne distingue pas. D’une salve d’arrêts rendus en janvier 2016, il résulte en effet clairement que le franchiseur est dispensé de remettre les informations prévues par les articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce, dès lors que le franchisé était déjà dans les affaires lors de la conclusion du contrat de franchise. Comme si ces professionnels avertis n’avaient guère besoin de tous les éléments que la loi Doubin tient pourtant comme indispensables à l’émission d’un consentement éclairé. De son côté, la cour d’appel de Paris a considéré qu’il importait peu que le franchiseur ne révèle pas au candidat qu’un précédent franchisé avait échoué dans la zone même qui faisait l’objet du contrat litigieux (CA Paris, Pôle 5, ch. 4, 7 oct. 2015).

Heureusement, certains juges du fond s’avèrent plus réalistes et plus scrupuleux dans l’application de la loi Doubin. Ainsi le tribunal de commerce de Paris, dans ce jugement du 22 mars 2016, qui rappellera utilement aux juridictions dites supérieures les principes en matière d’information précontractuelle.

L’absence de remise du DIP entraîne la nullité du contrat

Au cas particulier, le tribunal prononce en effet l’annulation d’un contrat de franchise au motif que le franchiseur n’avait remis aucun document d’information précontractuel à son franchisé en violation de la loi Doubin. Vainement soutenait-il qu’un avenant faisait état de certaines des informations requises. Par définition, un avenant suppose en effet qu’un contrat ait été conclu. L’information précontractuelle, elle, suppose qu’aucun contrat ne l’a été ! Au demeurant, cet avenant ne fournissait pas l’intégralité des informations exigées par la loi. Pas davantage n’attirait-il l’attention du candidat sur les multiples échecs, liquidations judiciaires et autres, essuyés par de précédents franchisés. Manœuvre dolosive donc. Et le tribunal y insiste : en toute hypothèse, le DIP est « obligatoire au regard de la loi ». Merci ! Enfin une juridiction qui accepte de remplir l’office que lui assignait Montesquieu, à savoir tout bonnement appliquer la loi.

Peut-être faudrait-il reprendre à nouveaux frais la question de l’information précontractuelle du candidat à l’intégration d’un réseau de distribution. Bon nombre d’améliorations mériteraient d’être faites. Ainsi le candidat totalement profane, non averti, justifierait davantage de sollicitude. Le franchiseur pourrait notamment être tenu de lui remettre des comptes prévisionnels. En toute hypothèse, quel que soit le profil du candidat donc, la liste des informations que l’article R. 330-1 du Code de commerce égrène devrait aussi être étoffée. En toute transparence, le franchiseur devrait être tenu de donner les chiffres de ses unités pilote et des franchisés exploitant leur activité dans des conditions similaires à celles projetées par le candidat. De même devrait-il révéler toutes les cessations de contrat ayant précédé la conclusion du contrat envisagé, et pas seulement celles ayant eu lieu dans l’année. Pourquoi pas encore lui imposer de révéler les marges qu’il touche des fournisseurs référencés ?

Mais en attendant, que les tribunaux appliquent au moins la loi Doubin telle qu’elle est, non telle qu’il voudrait qu’elle fût !

Encombrement des tribunaux et déni de justice

Les juges du fond sont débordés et les tribunaux encombrés : on connaît la musique. Le déni de justice est une abdication trop grave. A partir d’un arrêt récent : Cass. Civ. 1, 24 février 2016 : n° 15-10639

Est-ce une raison pour qu’ils refusent de travailler ?

Mettons-nous à leur place : la tentation est grande. N’empêche : il faut la refouler. L’un des premiers articles du Code civil fulmine le déni de justice dans des termes solennels extrêmement forts : « le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice ». Au reste, il s’agit là d’un délit pénal. Voyez l’article 434-7-1 du Code pénal : « le fait, par un magistrat, toute autre personne siégeant dans une formation juridictionnelle ou toute autorité administrative, de dénier de rendre la justice après en avoir été requis et de persévérer dans son déni après avertissement ou injonction de ses supérieurs est puni de 7 500 euros d’amende et de l’interdiction de l’exercice des fonctions publiques pour une durée de cinq à vingt ans ».

Evidemment, il est rare qu’un juge refuse positivement d’exercer son office. Mais la faute n’est-elle pas encore plus contestable lorsqu’elle est insidieuse ? De nombreux arrêts récents conduisent à se poser la question.

Les apports de l’arrêt du 24 février 2016

N’en prenons qu’un. Il servira de point de départ à la réflexion. Daté du 24 février dernier, il émane de la première chambre civile de la Cour de cassation. En résumé, l’affaire concernait un franchisé qui sollicitait du juge français la nullité de son contrat de franchise pour absence de cause et dol. En guise de moyen de défense, le franchiseur lui opposait une clause du contrat qui attribuait compétence aux juridictions de Barcelone. Le franchiseur voulait-il gagner du temps ? Préférait-il que le litige soit jugé par un tribunal plus proche de ses intérêts ? On ne sait pas. Toujours est-il qu’il invoquait le bénéfice de cette clause. Celle-ci ne visait pourtant que l’interprétation et/ou l’exécution du contrat. Pas sa validité donc ! Et pourtant la Cour de cassation censure les juges qui avaient considéré qu’une telle clause ne devait pas s’appliquer.

Lisez son principal attendu : « en statuant ainsi, alors que la clause confie en termes très généraux aux tribunaux de Barcelone tout litige découlant de l’interprétation et/ou de l’exécution du contrat, sans distinguer selon l’objet de la demande, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

Au delà de la clause attributive de compétence…

On n’en croit pas ses yeux. La clause était expressément limitée aux litiges relatifs à l’interprétation ainsi qu’à l’exécution du contrat ? Peu importe, répond la haute juridiction : elle ne distingue pas selon l’objet de la demande. Sans même insister sur le fait qu’en principe, la Cour de cassation étant juge du droit, n’a pas à se prononcer sur l’interprétation d’une clause, il est tout de même piquant de constater que les plus hauts magistrats de l’ordre judiciaire disent ici d’une clause l’inverse de ce qu’elle dit ! D’où la question : pourquoi ? Aucune raison grammaticale ne peut être sérieusement avancée. Vainement chercherait-on une autre règle technique susceptible de venir au secours d’une telle interprétation. Ne reste donc plus qu’une explication. Elle est d’ordre politique : il fallait donner effet à cette clause dans la mesure où son application expatriait le litige à Barcelone, libérant ainsi le rôle de nos pauvres juridictions françaises.

Cela n’est pas dit bien entendu. Comment avouer ce genre de considérations ? Elle est cependant d’autant plus plausible que la Cour de cassation, toujours elle, manifeste un extrême libéralisme à l’égard des clauses d’arbitrage, trop contente là encore de désengorger les juridictions étatiques. C’est une autre question, dira-t-on. C’est en tout cas le même combat. Il faut lutter pour que les franchisés et autres justiciables aient accès à un tribunal dans des conditions normales et réalistes. Toute solution qui compromet ce droit fondamental contribue à façonner une nouvelle espèce de déni de justice.

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L’erreur sur la rentabilité justifie la nullité d’un contrat de franchise !

La jurisprudence prononce la nullité d’un contrat de franchise n’ayant été conclu que sur la base de prévisionnels exagérément optimistes.

Nullité d’un contrat de franchise pour vice du consentement: JUGEMENT TC MEAUX 08 03 16

Rappel sur la nullité du contrat de franchise sur le fondement du dol en cas de prévisionnels exagérément optimisites

De longue date, la jurisprudence prononce la nullité d’un contrat de franchise n’ayant été conclu que sur la base de prévisionnels exagérément optimistes remis aux candidats à la franchise pour emporter leur consentement (V. encore récemment CA Paris, 10 sept. 2014). La Cour d’appel de Montpellier le rappelle fort bien dans un arrêt rendu le 21 octobre 2014 : si la loi ne met pas à la charge du franchiseur l’obligation de fournir une étude du marché local au candidat franchisé, auquel il incombe de s’informer sur les potentialités économiques du fonds, il est de principe que lorsque le franchiseur donne une telle information et communique des comptes prévisionnels laissant entrevoir la perspective d’un chiffre d’affaires, il est tenu de se livrer à une étude sérieuse et réaliste du marché local et de justifier les chiffres annoncés à partir d’éléments objectifs tirés de cette étude.

La jurisprudence récente

Récemment, la Cour de cassation a d’ailleurs fermement précisé qu’en cas d’écart substantiel entre les prévisionnels et les chiffres réalisés, le franchisé était bien fondé à demander l’annulation du contrat de franchise pour erreur sur la rentabilité de l’activité entreprise (Cass. com., 4 oct. 2011). Cette jurisprudence a été maintes fois confirmée depuis lors par la haute juridiction, les perspectives de rentabilité représentant une donnée déterminante d’un contrat de franchise ou plus généralement de distribution (Cass. Com., 31 janv. 2012.- Cass Com., 12 juin 2012.- Cass Com., 25 juin 2013.- Cass Com., 17 mars 2015).

De nombreux défenseurs de franchiseurs se sont offusqués d’une telle solution. Une erreur sur la rentabilité ? Mais le concept serait trop flou ! Il y aurait là une atteinte intolérable à la sécurité juridique !

Les juges du fond ne cèdent pourtant pas à ce vain catastrophisme. A preuve, cette décision rendue le 8 mars dernier par le Tribunal de commerce de Meaux. Ce jugement est intéressant : il rappelle bien la manière dont une telle erreur peut être caractérisée et partant, sanctionnée.

L’apport de la décision du Tribunal de Commerce de Meaux

Les faits de l’espèce

En l’espèce, le franchiseur de chocolats DE NEUVILLE avait remis au candidat, par l’intermédiaire d’une autre société, un compte prévisionnel stipulant des chiffres respectivement de 240 000 euros pour l’année 2011/2012 ; de 256 800 euros pour l’année 2012/2013 et de 274 776 euros pour l’année 2013/2014. Il indiquait au surplus que la moyenne réalisée par les magasins du réseau tournait autour de 220 000 euros annuel.

Cependant, il était établi qu’à l’époque, seuls 20 % des franchisés atteignaient ces prévisionnels. Et puis les résultats de l’exploitation du franchisé ayant conclu le contrat sur la foi de ces prévisionnels s’étaient très rapidement révélés inférieurs aux dites prévisions. Il enregistrait environ 60 % de celles-ci. Par ailleurs, les charges prévisionnelles avaient été sous-évaluées. C’était plus qu’il n’en fallait pour considérer que l’information transmise par le franchiseur manquait de sérieux. Etant précisé que le franchiseur n’avait pas non plus renseigné son interlocuteur sur l’état réel de la concurrence. Annulation du contrat de franchise donc.

La position du tribunal de Meaux

Le jugement insiste au surplus, et la circonstance vaut d’être notée, sur l’expérience du franchiseur. Il n’était pas un profane ; sa notoriété était acquise. De telle sorte que le candidat à la franchise pouvait lui faire confiance. En réalité, n’est-ce pas toujours le cas ? Par définition, le franchiseur entend réitérer une réussite et un savoir-faire. Tel est l’objet du contrat. Que le franchisé lui fasse confiance, c’est également une donnée essentielle de ce partenariat.

Enfin, le tribunal, dans un jugement décidément fort bien motivé, rappelle l’essence même de la franchise : si le franchisé paie un droit d’entrée élevé, verse des redevances, et « s’enferme dans des contraintes juridiques », « c’est avant tout parce qu’il attend du franchiseur une rentabilité lui permettant de couvrir a minima ses charges d’exploitation et même supérieure à celle qu’il obtiendrait en exploitant son commerce seul, sans l’aide d’un franchiseur professionnel connu et reconnu en la matière ».

Quelle belle définition de la franchise ! Elle insiste moins sur le savoir-faire, dont on sait qu’il est aujourd’hui souvent incantatoire, que sur la rentabilité attendue d’un contrat de franchise. Et de fait, voilà l’économie du contrat de franchise. Le franchisé s’engage pour faire des affaires. Les juges ne doivent pas l’oublier. Et de ce point de vue, le jugement rendu par le tribunal de commerce de Meaux est une magnifique leçon de droit et d’économie.

Pas de demi-mesure pour les clauses de non-concurrence !

A propos de Cass. Com., 30 mars 2016 : n° 14-23.261

Dit comme ça, la solution paraît évidente. Dès lors qu’une clause est nulle, personne ne peut raisonnablement en demander l’application.

Et pourtant, il est des évidences dont on se félicite que la Cour de cassation les rappelle fermement. Ainsi la décision qu’elle a rendue le 30 mars 2016 ne doit-elle pas passer inaperçue.

Les faits soumis à la Cour

Le litige était très classique et portait sur le respect d’une clause de non-concurrence post-contractuelle par un franchisé.  après rupture de son contrat, un franchisé du secteur de la location automobile était inquiété par son franchiseur qui lui reprochait de poursuivre son activité.

Violation de la clause de non-concurrence, arguait-il ! Problème : la clause était manifestement excessive : le franchiseur se prévalait certes d’un savoir-faire à protéger, d’une atteinte à l’identité et à la réputation de son réseau ainsi que d’un risque de détournement de clientèle… Arguments aussi rituels qu’incantatoires ! La clause interdisait à l’ancien franchisé d’exploiter son activité économique dans six départements. La cour d’appel en avait déduit son caractère disproportionné et l’avait donc tout bonnement annulée.

Pourvoi du franchiseur. Sa thèse était assez originale. Le franchiseur reconnaissant que la clause était illicite au regard de la jurisprudence antérieure (insuffisante limitation dans le temps, dans l’espace etc.). La clause était donc susceptible de porter une atteinte disproportionnée à la liberté du commerce du franchisé. Pourtant, soutenait le franchiseur, la clause devrait être appliquée malgré tout lorsque, dans la mesure de sa licéité, il est certain que son débiteur l’a violée. Ainsi en est-il si le franchisé a poursuivi la même activité à partir du même local.

La sanction de la nullité de la clause

Or en l’espèce, poursuivait-il, le franchisé s’était rétabli dans les locaux mêmes où il exerçait sa précédente activité.

Dès lors, en déboutant le franchiseur, la Cour d’Appel n’aurait pas légalement justifié sa décision. Ainsi le franchiseur estimait que son action en responsabilité était justifiée puisque le franchisé avait poursuivi la même activité dans le même local.

L’argument est néanmoins balayé. Et il est vrai qu’à bien y réfléchir, sa formulation était assez paradoxale, illogique : comment les juges pouvaient-ils appliquer une clause tenue pour illicite ? N’était-ce pas leur demander l’impossible ?

Les conséquences de l’illicéité d’une clause de non-concurrence

Une solution rigoureuse

Dès lors qu’un juge est appelé à se prononcer sur la validité d’une clause, l’alternative semble bien fermée : ou bien la clause est valable, ou bien elle est nulle. Dans le premier cas, il faut l’appliquer ; dans le second, la supprimer.

Aussi la Cour de cassation rejette-t-elle fort logiquement ce pourvoi : « ayant retenu que la clause de non-concurrence était illicite en raison de son caractère disproportionné, la cour d’appel n’était pas tenue d’effectuer la recherche invoquée à la première branche ».

La réponse est claire. Elle est en outre juste. Posez la solution inverse, quelles seraient les conséquences ? Cela n’est pas difficile à deviner : les franchiseurs n’auraient pas hésité à stipuler des clauses de non-concurrence particulièrement étendues et dissuasives, en se disant qu’après tout, il serait toujours temps de plaider que le franchisé l’a violée dans la mesure où elle aurait été déclarée valable.

Une rigueur justifiée

Certains diront peut-être qu’une clause de non-concurrence excessive pourrait être réduite. La clause était stipulée pour deux ans ? Ramenons-la à une année, voire six mois. Mais quel serait le fondement d’un tel pouvoir de réfaction reconnu au juge ? On peinerait à le trouver. Il serait d’ailleurs piquant de constater que ceux qui promeuvent la validité des clauses de non-concurrence au nom de la liberté contractuelle en seraient ainsi condamnés à en appeler au juge pour parfaire leur accord…

Si toutes les clauses excessives pouvaient être taillées par le juge à mesure des besoins prétendus d’un franchiseur, ces clauses de non-concurrence seraient toujours valables.  Le franchiseur ne prendrait donc aucun risque en rédigeant des clauses à large portée. Il suffirait de soutenir le cas échéant que son champ d’application peut être réduit.

De ce point de vue, la solution de la Cour de cassation suscite la pleine approbation.

Sus aux clauses d’arbitrage !

Sur le danger des clauses d’arbitrage…

La clause d’arbitrage est celle par laquelle les parties à un contrat décident de confier le règlement de leurs éventuels futurs différends à un tribunal composé de juges privés, désignés par les parties. Elle peut renvoyer au règlement de quelque association ou de quelque chambre de commerce et d’industrie : l’arbitrage est « institutionnel ». Le plus souvent, les parties prévoient cependant elles-mêmes la mise en place et le fonctionnement de cette juridiction spéciale : nomination et pouvoirs des arbitres, procédure à suivre, délais à respecter, possibilité ou non d’un appel. L’arbitrage, alors « ad hoc », est comme à la carte.

En toute hypothèse, les parties se mettent ainsi d’accord pour soustraire leur litige à la compétence des juges étatiques. Cela peut être pour de multiples raisons : gain de temps, compétence des juges, confidentialité. Voilà pour les motifs officiels. Officieusement, il peut toutefois également s’agir pour la partie forte d’imposer une justice qui, en dépit de ses avantages affichés, présente un inconvénient de taille : son prix. Tout dépend, bien sûr, des modalités retenues dans le contrat. Mais il en coûtera au bas mot plusieurs milliers d’euros. Ajoutés aux frais d’avocat, le prix s’avèrera fréquemment dissuasif. De sorte que le franchisé ou le concessionnaire ayant quelque grief à faire valoir y réfléchira à deux fois et, souvent, ne pourra tout bonnement se payer le luxe d’une procédure. Le franchiseur ou le concédant se trouvera ainsi immunisé.

Le laxisme de la jurisprudence

On aurait pu espérer que les tribunaux s’emploient à endiguer ce risque d’abus. Hélas, ils sont généralement trop heureux de se décharger, à bon compte si l’on peut dire. Aussi manifestent-ils une complaisance assez lâche à l’égard de ces clauses. Le code de procédure civile leur donne pourtant des outils. Supposez que le franchisé ou le concessionnaire saisisse le tribunal de commerce en dépit de la clause. Le défendeur, franchiseur ou concédant, soulèvera logiquement une exception d’incompétence au profit du tribunal arbitral. En théorie, le tribunal peut néanmoins balayer cette argutie au motif que la clause est manifestement soit nulle, soit inapplicable. En pratique, il ne le fait que très rarement. Pourquoi ? Les raisons sont avant tout politiques.

Par faveur pour l’arbitrage, la jurisprudence se fait une conception excessivement étroite des clauses manifestement nulles ou inapplicables. La cause de nullité ou d’inapplicabilité doit sauter aux yeux, estiment-ils ! Ainsi lorsque la clause n’a pas été signée par les parties. Ou lorsqu’elle limitait son champ d’application à tel ou tel contentieux dont il n’est pas question au cas particulier.

Les dénis de justice qui en découlent

Cette jurisprudence est proprement choquante. Elle frise le déni de justice (voir notre article ci-contre). Dans certains cas, il est en effet manifeste que la clause d’arbitrage est l’instrument d’une injustice criante. De manière générale, elle représente déjà une atteinte au droit fondamental d’ester en justice. Et pour cause : ce droit, garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, n’est-il pas singulièrement écorné dès lors que l’accès à un juge s’avère payant ? Les tribunaux devraient ainsi contrôler la proportionnalité de cette atteinte par rapport aux avantages attendus de la clause. Or ceux-ci sont bien souvent purement incantatoires.

L’arbitrage est rapide ? Pas du tout ! Le Code de procédure civile connaît certaines règles permettant à un juge étatique de statuer de manière tout aussi efficace. L’arbitrage est secret ? Et alors ? Un franchiseur honnête n’a rien à cacher ! Vainement invoquerait-il la nécessité de protéger la spécificité de son savoir-faire ! Outre qu’une telle spécificité est aujourd’hui fréquemment discutable, elle n’est jamais étalée dans des décisions rendues par des juges étatiques ! Enfin, rien à dire sur la prétendue compétence des juges arbitraux. Certains le sont davantage que des juges étatiques, d’autres moins. En fait d’intelligence, il n’y a lieu de poser aucune présomption.

Au demeurant, plusieurs arguments devraient être de nature à écarter les clauses d’arbitrage ayant sinon pour objet, du moins pour effet d’empêcher une personne d’agir en justice. Deux exemples l’illustreront sans peine.

Premier exemple :

Imaginez celui qui s’est engagé dans les liens d’un contrat de franchise et qui, pour une raison indépendante de sa volonté, ne trouve pas de financement. Ou pas de local. Il a versé un droit d’entrée, parfois substantiel, alors que, concrètement, il n’entrera jamais dans le réseau. La somme versée n’a donc aucune contrepartie. Il doit pouvoir la récupérer. Dira-t-on à cette personne qu’il ne peut s’adresser aux tribunaux étatiques si le contrat stipule une clause d’arbitrage ? En clair, contraindra-t-on cette personne à débourser 10, 20 ou 30 000 euros de frais d’arbitrage afin de récupérer 10, 20 ou 30 000 euros de droit d’entrée indument conservés ?

Cela passe l’entendement ! La clause d’arbitrage, dispose l’article 2061 du Code civil, est valable entre professionnels. Et le franchiseur tiendra donc à peu près ce langage : en signant votre contrat de franchise, vous avez réalisé le premier acte d’entrée dans une vie « professionnelle ». Vous ne pouvez donc prétendre que la clause est inapplicable. Byzantinisme ! Argutie ! Un peu plus de réalisme s’impose : dès lors qu’il n’y a pas eu entrée dans le réseau, le franchisé ressemble davantage à un consommateur floué. Il n’a précisément pas pu s’adonner à l’activité professionnelle convoitée. Inapplication de la clause donc. Et manifeste !

Second exemple :

Prenez cette fois le franchisé exsangue qui, totalement berné par des informations précontractuelles exagérément optimistes ou par les mensonges de son franchiseur, entend obtenir l’annulation de son contrat. Mais par définition, ce franchisé, qui a lourdement investi, ne peut se payer un arbitrage. Laissera-t-on sa cause sans suite ? Lui rétorquera-t-on qu’après tout, il n’avait qu’à pas signé la clause ? Formalisme ! Déloyauté ! La clause d’arbitrage devrait là encore être paralysée. Au nom de la bonne foi, dont l’article 1134 alinéa 3 du Code civil exige le respect lors de l’exécution du contrat. Ou bien par d’autres voies.

Les pistes de réforme

A cet égard, l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations en ouvre peut-être une nouvelle.  Consacrant et élargissant une jurisprudence bien connue en matière de clause limitative de responsabilité (Cass. Com., 29 juin 2010), le futur article 1170 du Code civil disposera en effet, à compter du 1er octobre 2016, que « toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite ». Or cet article a vocation à s’appliquer à la clause d’arbitrage. Après tout, la clause d’arbitrage prive ici de leur substance toutes les obligations essentielles du franchiseur. De fait, celui-ci se trouve comme dispensé d’avoir à répondre de ses manquements ! La composante la plus essentielle de toute obligation réside d’ailleurs dans la faculté d’en obtenir la sanction.

Peu importent les moyens au fond : les juges, lorsqu’ils prennent conscience d’une injustice, trouvent toujours de quoi habiller leurs décisions. Qu’ils en prennent conscience donc !

 

L’expérience du franchisé ne dispense pas le franchiseur de son obligation d’information.

A propos de Cass. Com., 5 janvier 2016 : n° 14-15.708 et n° 14-15.706

La franchise attire toutes sortes de profils.

Certains candidats n’ont pas la moindre expérience.

Qu’ils soient jeunes ou qu’ils fussent salariés, peu importe : ceux-là justifient une protection particulière. Le franchiseur doit respecter scrupuleusement son obligation d’information, notamment concernant les tenants et aboutissants de l’intégration dans le réseau. Mais certains candidats peuvent être rompus aux affaires. Faut-il alors alléger l’obligation de transparence que la loi met à la charge du franchiseur ? Certains juges sont parfois tentés d’en décider ainsi. Une justice à deux vitesses en somme. La loi, toutefois, ne distingue pas selon la qualité de celui qui envisage d’intégrer tel ou tel réseau. Dans tous les cas, le franchiseur doit fournir un document dont les mentions sont précisément définis aux articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce. C’est ce que rappelle grosso modo la Cour de cassation dans deux arrêts du 5 janvier dernier.

Les faits soumis à la Cour dans les arrêts du 5 janvier 2016

Au cas particulier, un professionnel de l’assurance avait décidé d’intégrer un nouveau réseau de franchise. Ancien agent commercial, ancien courtier, il était aguerri. Etait-ce pour cette raison que le franchiseur n’avait pas jugé bon de lui fournir un document d’information précontractuelle complet ? Difficile de savoir… Mais le fait était constant : ce document, lacunaire, était peu détaillé et reposait sur des données anciennes qui ne donnaient pas les perspectives de développement de l’activité entreprise. Peu importe, décidaient les magistrats de la cour d’appel de Paris : dès lors que le candidat était un véritable professionnel, il n’avait pas besoin d’une telle information. La décision confirme, soit dit au passage, l’extrême libéralisme, d’aucuns pourraient même évoquer un réel laxisme, de cette juridiction, désormais ouvertement acquise à la cause des franchiseurs, aussi malhonnêtes ou négligents soient-ils. Fort heureusement, la décision est néanmoins censurée :

 

« En se déterminant ainsi, sans préciser en quoi l’expérience du franchisé, acquise dans le seul secteur de l’assurance, était suffisante pour lui permettre d’apprécier l’état du marché local d’un concept novateur alliant crédit et assurance, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ».

 Analyse de la position de la Cour de cassation

Cette cassation est bienvenue. Encore une fois, la loi ne distingue nullement selon que le candidat à la franchise était ou non averti : l’obligation de transparence du franchiseur doit être respectée en toute hypothèse. Cela étant, on regrettera la motivation très circonstanciée de l’arrêt rendu par la haute juridiction. Celle-ci semble en effet suggérer que l’expérience du franchisé, si elle avait porté non seulement sur le domaine de l’assurance, mais encore sur celui du crédit, aurait permis d’établir la connaissance suffisante de ce franchisé et partant, de dispenser le franchiseur de son obligation de transparence. Un tel raisonnement n’est pourtant pas admissible.

La portée de ces arrêts

Il faut se garder des généralisations hâtives : le fait qu’une personne ait acquis une expérience professionnelle dans tel ou tel secteur ne signifie pas qu’il n’ait pas besoin de l’information précontractuelle prévue par la loi ! Il peut d’abord ne pas connaître le secteur géographique. Auquel cas la remise d’un état du marché local s’avère tout aussi déterminante que si ce candidat n’y connaissait rien. Par hypothèse, ce dernier ignore ensuite les potentialités du concept dont s’enorgueillit le franchiseur. Les perspectives de rentabilité doivent ainsi logiquement être étudiées avec soin par le franchiseur, et communiquées à tous les impétrants.

On savait déjà que la loi Doubin de 1989, dont l’article L. 330-3 du Code de commerce est la transposition, faisait l’objet d’une interprétation stricte de la part des tribunaux. La formule des franchiseurs est rabâchée jusqu’à satiété : « toute la loi Doubin, mais rien que la loi Doubin ». Une formule qui justifie, selon certains, que le franchiseur ne soit pas tenu de remettre aux candidats des chiffres prévisionnels.

Mais il ne faudrait pas aller plus loin ! Il ne faudrait pas que cette approche restrictive s’abîme dans une lecture appauvrissante ! A lire certaines décisions, on a parfois l’impression d’un autre mot d’ordre : « rien que la loi Doubin, et moins que la loi Doubin » ! La Cour de cassation doit veiller à ce que la loi s’applique en tous ses termes : c’est sa fonction.

Financement d’une franchise : prudence !

Voici un arrêt dont l’importance pratique ne passera pas inaperçue. Bien que la Cour de cassation n’ait pas jugé utile de le publier, il mérite assurément d’être connu des franchisés.

Rappel des faits

L’histoire était fort simple : afin de financer leur affiliation à un réseau de franchises, une société avait contracté un prêt auprès d’une banque. Et ses dirigeants de se porter caution. Scenario banal s’il en fut… Les contrats de franchise devaient toutefois être annulés. Restait alors la question du prêt. Devait-il ou non être annulé par voie de conséquence ? Le franchisé devait-il poursuivre le paiement des mensualités ? Non, selon lui : l’annulation du contrat de franchise justifiait nécessairement celle du contrat de prêt. Les deux contrats formaient un tout indivisible. L’argument est toutefois rejeté par la Cour de cassation dans cet arrêt du 14 décembre 2010 :

« Attendu qu’après avoir relevé que la partie qui invoque l’indissociabilité de deux contrats doit démontrer l’existence d’une indivisibilité entre les conventions, et que le fait que celles-ci participent d’une même opération économique ne suffit pas à lui seul à caractériser l’indivisibilité des contrats, l’arrêt constate dans l’exercice de son pouvoir souverain que les contrats de franchise et de prêt n’ont pas été conclus entre les mêmes parties, que les contrats de prêt ne comportent aucune référence aux contrats de franchise, de même que ces derniers ne contiennent aucune mention relative à des demandes de prêt, ni aucune condition suspensive d’obtention de prêts, que chacune des conventions comporte des obligations distinctes pouvant être exécutées indépendamment les unes des autres, enfin qu’aucun élément ne permet de constater que les parties ont voulu lier le sort des contrats de prêt à celui des contrats de franchise ; qu’en l’état de ces appréciations et constatations, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ».

La portée de l’arrêt

En somme, le contrat de prêt qui servait à l’exécution du contrat de franchise perdurera malgré la disparition de celui-ci. La solution peut étonner : quelle logique économique la sous-tend ? D’un point de vue juridique, elle se défend néanmoins : le banquier doit-il pâtir de l’annulation d’un contrat auquel il est étranger ? Par où le franchisé est invité à solliciter, dans le cadre de son action en nullité du contrat de franchise, l’indemnisation du préjudice résultant pour lui de la continuation d’un prêt qui se trouve privé pour lui de toute signification économique.

Mais l’apport de cet arrêt va plus loin. Car le franchisé et la caution reprochaient également à la banque d’avoir manqué à son devoir de mise en garde lors du financement de l’opération. C’est un reproche classique depuis que la Cour de cassation, en 2007, a mis à la charge des banquiers cette nouvelle obligation au profit des emprunteurs non avertis. L’arrêt du 14 décembre rappelle toutefois qu’il appartient au franchisé d’établir le risque d’endettement que présentait l’opération lors de sa conclusion. S’il incombe au banquier de prouver qu’il a bien exécuté son obligation, encore faut-il en effet que celle-ci existe. Lorsque l’opération ne présente pas un véritable risque, le franchisé ne peut reprocher à un autre de s’être laissé embarquer dans la Galère. Cela ne veut pas dire qu’en l’espèce, le risque n’existait pas. Mais le franchisé ne l’avait pas suffisamment caractérisé pour les juges du fond. Prudence donc : lors de la conclusion du contrat, certes, mais aussi lors de la confection de son dossier de plaidoirie.